L’auteur du succès mondial Utopies réalistes récidive en livrant un essai très convainquant sur la bonté ancrée de l’homme, loin des idées pessimistes développées par Hobbes et les média.


Un livre qui fait du bien. Cela aurait pu être le titre de notre chronique, mais nous avions peur de nous rapprocher des arguments marketing figurant sur les bandeaux des romans de Virginie Grimaldi et Agnès Martin-Lugand. Pourtant, c’est ce qu’est Humanité. Une histoire optimiste : un livre qui fait du bien. Le titre néerlandais de l’ouvrage, De meeste mensen deugen, annonce très vite la couleur : « la plupart des gens sont des gens bien », phrase prononcée en 2012 par le médiateur national des Pays-Bas. Dès l’introduction, le journaliste Rutger Bregman prend ses distances avec le discours ambiant selon lequel l’homme serait naturellement mauvais. Une catastrophe climatique ? Un attentat ? Et les hommes, perturbés dans leur vie quotidienne, redeviendraient des loups, craquant le vernis de sociabilité qui recouvrait leur moi profond. On retrouve ici le vieux débat Hobbes vs. Rousseau, Rutger Bregman revenant souvent à l’essentiel Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Hobbes, qui semblait avoir gagné de longue date, perd de sa superbe au fil de la lecture.


Bien sûr, le propos est nuancé : « Je ne compte pas prétendre dans ce livre que l’être humain est naturellement bon. Nous ne sommes pas des anges. Nous avons tous une bonne et une mauvaise jambe ; la question, c’est de savoir laquelle nous exerçons. Je souhaite simplement montrer que nous avons toutes et tous, naturellement, depuis l’enfance – que ce soit sur une île inhabitée, lorsqu’une guerre éclate ou que les digues rompent -, une forte préférence pour notre bonne jambe ». Tout l’intérêt de Humanité réside dans ces propos. Si certains hommes sont mauvais, si le mal existe bien, si l’histoire a révélé bien des fois la face inhumaine de l’homme, pourtant, il y a des preuves scientifiques que la plupart des gens sont bons.


Si Humanité est si agréable à lire, c’est en grande partie pour son style journalistique, où les références se multiplient, convoquant psychologie sociale, économie, histoire et zoologie. Ainsi, la déconstruction des lieux communs occupe une grande partie de l’essai. Sa Majesté des mouches de William Golding et les fameuses expériences de Stanford et de Milgram sont analysés et décortiqués. Milgram démontrant que l’autorité peut conduire de simples individus à électrocuter de parfaits inconnus ? « Des conclusions simplistes. […] Il faut dire que Milgram était un fantastique metteur en scène, avec un sens aigu du drame et un flair infaillible pour ce qui marche à la télévision ». Rutger Bregman démontre que, malgré les preuves scientifiques de la bonté de l’homme, c’est pourtant une analyse pessimiste qui l’a emporté. Principalement pour des questions de facilité, car croire que l’homme est naturellement mauvais nous excuse de nos fautes. Vous l’aurez donc compris : un livre qui nous fait changer de vision.


« Comment se fait-il que la théorie du vernis ne cesse de revenir sous d’autres formes ? Je crains que ce ne soit avant tout par facilité. La croyance en notre corruption morale est étrangement apaisante ; Quelque part, elle nous disculpe. Si la plupart des êtres humains sont mauvais, alors cela n’a pas beaucoup de sens de résister et de s’engager.
Notre prétendue nature de pécheurs permet en outre d’expliquer assez simplement l’existence du mal. Lorsqu’on est confronté à la haine ou à l’égoïsme, on soupire : « Hélas, c’est la nature humaine ». Si, en revanche, on avance que l’être humain est fondamentalement bon, on doit réfléchir plus longuement pour expliquer l’existence du mal. Et on est forcé à agir, car alors la résistance et l’engagement prennent tout leur sens. »

JulienCoquet
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le 22 avr. 2021

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Julien Coquet

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