Un titre trompeur
"I love Dick", c'est l'histoire de Chris (comme l'auteur) qui tombe follement amoureuse de Dick, lors d'une soirée passée chez lui en compagnie de son mari. La semaine qui suit cette soirée, Chris...
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le 3 mai 2017
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La postface de l'édition anglo-saxonne fait de ce livre une "fiction théorique" - et je pense qu'il faut la lire comme tel. La diffusion française a eu tendance à psychologiser un travail qui dénonçait, entre autres choses la psychologisation des œuvres des femmes. Douce ironie.
Il s'agit, en réalité, d'une autofiction publiée à l'origine par la (prétentieuse) maison d'édition post-moderne américain Semiotext(e), fortement liée à la diffusion de ce qui s'appellera au fur et à mesure du temps la "French theory" (en réalité, la réception originale américaine des philosophes français de la seconde moitié du vingtième siècle, de Foucault à Deleuze en passant par Derrida, Althusser et Baudrillard). Le contexte fait beaucoup : il s'agit d'une "fictionnalisation" de cadres théoriques issus de cette interprétation américaine de philosophes français. Il est donc normal de ne pas tout comprendre (je n'y prétends pas plus que quiconque). Le livre est truffé de références à la fois érudites et à la fois pop des années 90. Si vous n'étiez pas à Los Angeles en 1995, il y a peu de chances que vous sachiez de quoi elle parle à chaque fois (vivement une édition annotée !).
Cela étant dit, on peut tout de même en comprendre certains éléments. L'obsession de Chris pour Dick (un critique littéraire lié d'amitié à son mari, Sylvère) fait l'objet d'une fausse correspondance dont l'écrivaine devient peu à peu la seule rédactrice. Ses sentiments amoureux sont mêlés à sa propre réflexion sur les relations hétérosexuelles entre les femmes (cis) et les hommes (cis), le manque de reconnaissance des femmes dans le milieu artistique, la psychologisation de son propre travail, une identité juive qu'elle n'arrive ni à délaisser ni à s'approprier tout à fait - parmi d'autres choses.
J'ai lu ce texte dans le cadre d'une réflexion personnelle plus large sur le male gaze et le female gaze en littérature (pour mon mémoire). Ma première analyse est que pour pouvoir entretenir un dialogue avec Dick, Chris est obligée de mettre en scène leur relation dans le cadre d'un échange épistolaire fictionnel afin de pouvoir s'entretenir de sujet à sujet. Dick ne peut jamais répondre, puisqu'il ne reçoit pas ses lettres ; ainsi Chris peut déployer sur lui son désir et entamer un dialogue avec l'homme qu'elle pense qu'il est. Et puisque c'est une autofiction, le livre frôle toujours l'indécence et la jurisprudence. C'est néanmoins une voie possible et nouvelle qui s'est ouverte avec Chris Kraus pour rendre le "Je" féminin possible en littérature.
J'allais dire : ne vous arrêtez pas au titre. Mais si, arrêtez-y vous d'abord. Avec le contexte, il devient évident que la provocation n'est pas gratuite, qu'il y a quelque chose qui relève du carnaval, du pied de nez à la fois à la bienséance - féminine - (on ne dit pas qu'on aime la bite dans un titre), et au mâle (le patriarche est rendu à la légèreté du jeu de mot). Chaque mot compte : JE - AIME - LABITE. Il s'agit d'affirmer à la première personne du singulier son propre désir, ancré dans le corps de l'autre et dans ses propres fantasmes : c'est au fond simplement descriptif.
Je vous conseille vivement de la lire en anglais si vous le pouvez - d'autant plus si comme moi vous appréciez la liberté de ton et la liberté créative dont savent faire preuve autant les éditeur.ices que les écrivain.es américain.es.
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Créée
le 21 avr. 2021
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