On peut voir "Identification des schémas" comme un thriller, une chasse à l'énigme genre "Da VInci Code". L'ouvrage, découpé en 43 courts chapitres, raconte comment une femme de 31 ans, Cayce, qui travaille en freelance auprès de boites qui la consultent pour sa grande sensibilité à la mode, va enquêter sur un film mystérieux. Son employeur, Bigend, patron d'une boite de pub en plein boom, veut savoir qui est à l'origine de ces fragments de film qui déchaînent les spéculations sur internet.

Immersion progressive dans l'enquête, red hearings, présence d'une menace vague qui entretient la paranoïa, questionnement sur les éventuels alliés, accélération dans les derniers segments : l'ouvrage de Gibson, à la différence de ses précédents ouvrages, a tous les ingrédients d'un thriller situé dans le monde d'aujourd'hui (il date de 2002). Heureusement il n'a pas que ces qualités.

Premièrement, c'est la première oeuvre de fiction que je connaisse qui évoque le 11 septembre comme une part de notre mémoire commune. Et Gibson l'a fait un an après l'évènement. C'est courageux. Il fait son travail d'artiste, donne une représentation qui permette d'appréhender l'inappréhendable.

Deuxièmement, s'il n'y a plus le jargon propre aux oeuvres SF de Gibson, l'ouvrage garde la même précision redoutable dans le vocabulaire. Cayce (dont le nom se prononce comme celui du héros de Neuromancien) est capable de jauger non seulement les logos, mais les gens, à la manière dont ils s'habillent. D'où des descriptions courtes mais ultraprécises des vêtements de chaque protagoniste, sans indulgence envers les marques dans lesquelles nous baignons. A notre époque de paraître, ce n'est pas un hasard. De même, Cayce est allergique à l'environnement publicitaire (sauf aux enseignes Starbuck, mais il ne faut pas le lui dire). Enfin, Gibson restitue à la perfection la manière d'utiliser l'internet de cette fille un peu flippée : chat, raffraichissement de la boite aux lettres pour se rassurer, moments de pause nécessaires, etc... Evidemment, le roman se situe un peu avant le grand boom de Facebook et Twitter, donc le tableau a évolué depuis. Mais Gibson est tout de même d'une acuité anthropologique tout à fait remarquable pour tout ce qui touche à l'informatique.

Enfin, la morale du livre est assez ouverte. Elle se situe plutôt dans la dénonciation de l'omniprésence des marques et de l'information dans nos vies. Quelques passages critiquent également les dangers de la globalisation. L'épilogue laisse la place aux spéculations (qui dort à côté de Cayce). J'ai ma petite idée, mais bon.

Plus qu'un simple thriller bien solide, "Identification des schémas" anticipait, il y a dix ans, à quoi ressemblerait notre vie aujourd'hui : nous passons plus de temps sur des sites comme Senscritique, à côtoyer des inconnus, ou bien sur notre portable, qu'à parler en face à face avec notre entourage. Il en résulte un monde où les distances ne semblent plus exister et où les différences s'estompent.
zardoz6704
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le 10 août 2012

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