Dans l’État fictif du Shonga, quelque part en Afrique, cela fait dix-sept ans que, malgré l’intervention sur place de l’ONU et de l’armée française, la guerre civile fait rage, opposant forces régulières et séparatistes au profit de diverses mouvances terroristes. L’enlisement du conflit et les attentats commis en représailles à Paris ont eu raison de l’opinion publique française, de plus en plus hostile à tout engagement militaire. Le retrait des troupes tricolores est ordonné, et l’armée - soucieuse de redorer son blason après cette débâcle - « purgée » des anciens combattants du Shonga.
A quarante ans, le soldat Sébastien Franqui, que ses quatre missions « là-bas » comme chef de convois logistiques ont rendu chaque fois plus brisé à une famille qui a fini par voler en éclats, n’est plus qu’amertume et désespoir face à son impossible réinsertion dans la vie civile ordinaire. C’est un reporter de guerre et frère d’âme, qui, constatant la descente aux enfers de Sébastien, entreprend la narration croisée de ce retour cauchemardesque et des dix-sept ans d’épreuves, toutes plus traumatisantes les unes que les autres, qui l’ont précédé.
Enclenchée par un bref prologue présentant le protagoniste principal comme « une bombe à retardement que les Hommes ont lentement amorcée jusqu’à l’explosion », la tension s’installe d’emblée et ne fait que monter crescendo, au rythme du compte à rebours égrené par les titres de chapitre. Dans l’attente pleine de suspense de l’ultime catastrophe annoncée, nous voilà peu à peu immergés, non pas seulement dans la noire réalité des atrocités de la guerre, des massacres entre ethnies et des conditions épouvantables des camps de réfugiés, mais aussi dans l’insupportable impuissance de ces hommes envoyés combattre un ennemi invisible et insaisissable.
Le récit excelle à dépeindre simplement la complexité des enjeux en présence, l’inextricable engrenage de l’échec et les processus psychologiques à l’oeuvre autour du traumatisme, du sentiment de culpabilité et, enfin, de l’injustice, quand, après avoir risqué leur vie et s’être confronté à l’innommable sans véritables moyens d’action, ils se retrouvent honteusement mis au rebut, rejetés de l’armée sans reconversion, pointés du doigt par l’opinion, incompris de leurs proches épuisés par leurs cauchemars et par leur déphasage après leur absence et la peur. Car, au terrible mal-être de ces hommes répond celui de leurs familles, démunies et déchirées, et qui, à force d’incompréhension et de malentendus, achève d’enfermer ceux qui ont fait la guerre dans la solitude de leur douleur sans fond.
Averti d'un funeste dénouement dont l'ultime rebondissement ne l'en surprendra pas moins, le lecteur reste impressionné par la pertinence d'analyse des situations et par la finesse psychologique des personnages. De l'angoisse, puis de la frustration et du désarroi de familles incapables de rivaliser avec les fantômes de la guerre, à l'intolérable dissonance entre, d'un côté, le moi profond et les valeurs fondamentales du soldat Braqui, de l'autre, l'atroce et injuste absurdité du rôle qu'on lui fait endosser, l'on ressort ébranlé de ce récit en tout point convaincant. Coup de coeur.
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