Qu'est-ce qui justifie que A History of Loneliness, de John Boyne, ait attendu 7 ans pour sa traduction en français ? Son sujet, peut-être, les scandales pédophiles touchant l’Église irlandaise, mais certainement pas la qualité du livre. Doux Jésus, les voies de l'édition sont parfois impénétrables ! Voici donc le roman, traduit finement par le titre Il n'est pire aveugle, qui épouse parfaitement le sujet de l'ouvrage. Son personnage principal, Odran, est un prêtre sans tâches mais complice silencieux des infamies commises par ses pairs, par manque de discernement et cécité autant incontestables qu'indéfendables. Les différents chapitres bousculent la chronologie, sauts en arrière puis en avant, une mode dans le roman contemporain parfois agaçante, mais le procédé permet de donner de l'ampleur et du suspense à une intrigue riche qui s'invite même au Vatican en 1978, l'année des trois papes, avec notamment un portrait très sensible de l'éphémère (et assassiné ?) Jean-Paul 1er. Boyne y va parfois un peu fort dans le registre dramatique mais n'oublie jamais le côté humain de ses personnages, à commencer par celui d'Odran, dont la passivité coupable, haïssable, est rendue "compréhensible" par l'auteur qui ne lui fait pourtant pas de cadeaux. Il n'est pire aveugle est presque aussi enlevé que l'extraordinaire L'audacieux Monsieur Swift, malgré un sujet bien plus austère, preuve que l'écrivain irlandais possède un talent de conteur indéniable, capable de nous emmener loin dans les abysses psychologiques de personnages tourmentés. Les voies du romancier John Boyne sont infiniment aiguës, perturbantes et passionnantes.