Lorsque j'ai ouvert le bouquin, j'ai été confronté comme tout lecteur de pavé aux fameuses 50 premières pages, celles qui
découragent, celles qui te font regretter l'achat, et la lecture de ce livre. Les exposés techniques du monde naissant de l'imprimerie (pas naissant, mais on sent que c'est le début d'une entreprise grande qui s'annonce en France dès lors), sont pas les plus intrigantes, et pourtant.
Lucien arrive ensuite dans le récit. Jeune poète, ne connaissant pour ainsi dire rien d'autre que l'Houmeau d'Angoumême, il est réputé pour être très beau, mais tout cela ne suffit pas lorsqu'on habite la province, en cette période. Et pourtant, le jeune Lucien a soif d'ambitions, et c'est ce caractère d'esprit qui nous fera tomber amoureux de ce livre.
Car le départ de Lucien pour Paris semble triomphant, tout semble facile, un jeune poète talentueux et débordant de beauté, aussi bien dans son écriture que sur son visage ne peut que réussir dans la ville où les talents apparaissent au grand jour. Mais Paris est impitoyable. Balzac nous le décrit bien, cette hypocrisie du monde aristocratique, Louise rejetant pour ainsi dire
Lucien, car il est Lucien "Chardon", fils d'un pharmacien. Première sensation de dégout, Dieu, comme ce monde est cruel ! Tout s'accède par l'apparence, par la tenue, par le titre qu'indique son nom (De Rubempré est plus attirant pour ces messieurs dames, que Chardon). Rejeté, moqué, Lucien n'est plus le provincial monté à Paris pour sonner la cloche du succès, il est relégué au pied de la cathédrale, sans un sous. Mais sa vengeance sera violente.
Et c'est là qu'à mon sens, si on est un lecteur qui vient pour le récit en lui-même, on est enfin plongé dans le livre. Car la deuxième partie du roman sera comme une ascension, dure, car le Paris bourgeois est presque aussi impitoyable que le Paris aristocratique. Ses amis du cénacle sont sincères, pour eux, c'est le travail et la rigueur qui prime. Pas pour le monde du journalisme que nous décrit Balzac, le monde, le monstre auquel s'attaque Lucien, d'où il reviendra déplumé.
On devient nous aussi, en lisant le récit, assoiffé d'ambitions. Balzac nous décrit un monde horrible, car égoïste, individualiste, sans vertu. Et pourtant, on veut que Lucien triomphe, qu'il mette de côté ses principes, on veut aussi triompher, quitte à en ressortir ivre de tout ça. Ses premiers articles triomphants sonnent comme un premier coup d'épée sur Paris, et que c'est jouissant. On avance dans les pages, une petite partie de nous-même sait quelle sera l'issue : l'échec, la chute, la mort peut-être ? Mais tout ceci est trop attirant, quand on a croqué dans le fruit le plus délicieux du monde, aussi toxique soit-il, on doit le finir. C'est dans la nature humaine visiblement, l'imagination prime sur la raison, Blaise Pascal devrait remercier Lucien d'être le meilleur exemple qui soit.
Et effectivement. Lucien veut tout, tout de suite, et c'est ce qui causera sa perte. Saisir la moindre occasion, sans être pragmatique n'aura pas suffi. Plongé dans un tourbillon qui l'entraine vers le fond, on assiste à la perte de ses ambitions, de ses illusions, et on ne peut rien faire, c'est frustrant. Aucun retour en arrière semble possible, il a commis une erreur, et dans ce monde, aucune erreur n'est permise.
Je m'arrête là pour cette critique, pas la peine de commenter la deuxième partie, qui est là pour nous montrer que même en province, être ambitieux, c'est être soit le vainqueur, soit le vaincu. Pauvre David, sa gentillesse aura eu raison de lui, ses illusions aussi.
En bref, Illusions Perdues est un chef-d'oeuvre. Critique du monde aristocratique, du monde bourgeois, démystification du monde du journalisme et du livre, qui se cachent sous de fausses vertus, récit d'un Homme bon et plein de principes, qui aura gouté au fruit du succès, succès qui aura eu raison de lui, Balzac nous livre un pavé qui n'est pas assez long. Car le phénix renaît de ses cendres, et Dieu seul sait si Lucien reproduira ce schéma ou non à l'avenir. Et on veut le savoir, maintenant tout de suite, comme Lucien a voulu le succès immédiatement.