Je me demandais à la fin du livre ce qui était le plus artificiel entre le roman policier et le roman noir, mais finalement, cela n’intéresse que moi et n’a que peu à voir avec la rage que cela a réveillée en moi. La vraie question serait plutôt :

« A quelques jours de la rentrée des classes, était-ce une bonne idée de lire le roman noir Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ? »

Je pourrais répondre « non, car le livre est horriblement réaliste. » Histoire de faire le malin, puis poursuivre par : « Mais oui aussi, pour la même raison. » Et je serai un beau connard tout content de créer de belles tournures rhétoriques sur le dos d’un roman fait de colères et d’humiliations éclatant soudain. Une grosse claque.

Ne cherchez pas les effets de style dans cette narration sobre et banale relatant la vie d’une cité de banlieue de Seine-Saint-Denis en 2005. Ne cherchez ni sentimentalisme, ni histoire d’amour ou aventures enthousiasmantes. De toutes les recettes habituelles du bon livre parlant de la jeunesse, rien n’a été retenu. On commence la lecture en espérant obtenir sa dose d’atrocité et on l’achève avec l’impression d’avoir réchappé à un cataclysme terrible.

L’histoire suit plusieurs personnages. Une jeune professeur débutante dans un collège de ZEP du 93, deux de ses élèves : un noir, Moussa, et un arabe, Lakdar. Le procureur en charge de la cité et un des patrons du trafic local (prostituées).

Résumé succinct : Lakdar, bon élève, perd tout à cause d’une bavure médicale tandis que Moussa veut tout arrêter pour devenir un rappeur plein de thunes. Du côté des adultes, la jeune enseignante se demande si elle doit cacher qu’elle est juive alors que le boss des « gazelles » se demande s’il doit prendre le quartier voisin sous sa coupe… Ajoutez à cela la montée de l’islamisme grâce à un imam fraîchement émoulu, des habitants sous tension, les émeutes après la mort de deux adolescents à moto (fait réel, vous vous rappelez ?), des collègues démissionnaires ou enfoncés dans des routines politiques et vous obtenez un mélange lugubre prêt à salir le peu qui ne l’était pas encore.

Alors, évidemment, le roman ne manque pas d’enfiler les clichés comme des chamalows sur une branche au-dessus du feu et tout a été fait pour livrer au lecteur une situation regroupant tous les problèmes sordides des cités de banlieue françaises. Mais comme Thierry Jonquet le rappelle si bien, « le mélange, c’est ce qui fait avancer la mob’ », non ?

Oui, ce roman est engagé à gauche, la vraie, celle qui ne se réjouit pas de publier 0.5 point de croissance au troisième trimestre ; oui, il heurte nos sensibilités en montrant la misère, notamment intellectuelle de ces quartiers pourrissants ; oui, il dénonce la complaisance avec laquelle nous détournons tous notre regard de ces réalités qu’on se contente de dénoncer en rentrant de vacances. « C’était bien plus sympa la Grèce ! Quel calme et quelle gentillesse !» Jonquet sait tout cela et le comprend parfaitement, il ne juge pas le lecteur, il lui met juste la réalité sous les yeux. Et sans parler de culpabilité, il nous force à nous rappeler où l’on vit, avec qui. Il sait que je plaide coupable, il est au courant pour mon boulot toute l’année, la famille que je veux fonder, les gens que j’aime à protéger et les rêves à accomplir parmi lesquels « redresser la situation dans mon pays » n’a pas vraiment la priorité.

Mais il s’en fout car la vérité est là, dans ce livre. Tissée de mille inventions, d'hoquets de terreur, de larmes devant la simplicité de l'horreur, de déprime et de volonté. Elle est là et elle n'est pas belle à voir.
Ikkikuma
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le 31 août 2013

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Ikkikuma

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