Ce court roman (150 pages) commence par un bref échange de correspondances qui nous donne une idée générale, bien compliquée, de la famille Agnew et de sa résidence séculaire du cottage de Lemington. C’est la fille d’Imelda qui sonde un héritier pour tenter de faire la lumière sur ses propres origines. Outre quelques photographies, elle aura droit à deux manuscrits qui constituent des formes de témoignages, malheureusement contradictoires.
Arrivée à Lemington alors qu’elle était âgée de 8 ans, Imelda fut présentée comme orpheline (et parente éloignée) par son tuteur qui l’accompagnait. Cet homme qui venait s’installer à Lemington était le frère de la maîtresse de maison, elle-même mariée à Charles, homme assez faible de caractère, tous deux étant les parents d’Hubert l’aîné et Frank son cadet. Ayant le même âge qu’Hubert, Imelda fut rapidement considérée dans les esprits comme lui étant destinée. Hubert présentait l’avantage d’une bonne éducation, d’une bonne famille et donc d’un avenir assuré. Hubert, Frank et Imelda vécurent donc une partie de leur enfance puis leur adolescence à Lemington où, rapidement, l’oncle Affleck (le tuteur d’Imelda) prit l’ascendant sur toute la maisonnée. Parmi les points à retenir, il reste à parler de la mort d’Hubert, survenue à Lemington alors qu’il poursuivait ses études universitaires de philosophie et qu’il était fiancé à Imelda.
Un soir, sa digestion le fit souffrir plus qu’à l’accoutumée. La digestion était son point faible depuis toujours, au point qu’il était affligé par des productions gazeuses importantes et qu’il souffrait d’un ulcère. Il fut admis que son ulcère s’était brusquement ouvert, jusqu’à provoquer sa mort. L’autre point incontestable, c’est qu’Imelda était alors enceinte et qu’elle s’éloigna de Lemington pour accoucher d’une fille, celle qui s’inquiète de ses origines.
Beaucoup d’incertitudes
Le point le plus délicat est donc la question du père de l’enfant d’Imelda. D’après Frank (premier témoignage se présentant à notre lecture), ce serait lui, selon ce qu’Imelda lui aurait affirmé. Mais, d’après le témoignage de l’oncle Affleck, le père serait Hubert, toujours selon les dires d’Imelda. Il apparaît donc qu’au moins un des trois a menti. Et puis, on comprend par une intervention du narrateur après le deuxième témoignage que l’oncle Affleck s’arrangerait pour cacher ce qui le gênerait profondément.
On comprend qu’il entretenait une relation trouble avec son homme de confiance arrivé avec lui à Lemington, le dénommé Johnny Restorick, homme longtemps craint par Frank à cause de sa main remplacée par un crochet. Et si la question du père reste posée, celle d’un éventuel assassinat d’Hubert se pose également. D’après Frank, Johnny Restorick l’aurait empoisonné en lui servant des champignons toxiques. Une thèse plausible puisque Frank occupait son temps à rédiger un traité sur le sujet… aidé par Johnny Restorick. On imagine bien le motif de Frank. Mais celui de Johnny Restorick reste bien vague, surtout qu’il ne s’en serait probablement pas caché auprès de l’oncle Affleck.
Entre folie et raison
Les deux témoignages apportent donc deux versions différentes de la grossesse d’Imelda. Le souci, c’est qu’on ne dispose d’aucun moyen de vérification ou de recoupement. On ne peut même pas savoir si Imelda a bien prononcé ces deux affirmations contradictoires. Et si tel est bien le cas, il resterait à savoir pourquoi. La version de Frank laisse entrevoir une raison. Mais, dans ce cas, on peut également se demander pourquoi Frank a sombré dans la folie. On peut même imaginer que sa famille l’ait fait interner pour l’écarter et le discréditer définitivement (de tels cas existent). La seule solution serait l’analyse ADN, mais il n’en est pas question ici.
La force des mots
Ce que John Herdman pose ici, c’est que la littérature lui permet de jouer avec nos esprits comme il le veut. Sa force, c’est qu’avec ses mots et une réelle économie de moyens, il nous amène à échafauder toutes ces hypothèses. Cela veut dire qu’il a réussi à créer une atmosphère originale et des personnages qui, dans nos têtes de lecteurs, ont pris vie avec la description des relations entretenues avec leur entourage. Les conflits d’intérêt cités et sous-entendus y participent et les possibilités d’interprétation s’avèrent incroyablement nombreuses, de la plus simple à la plus complexe. Herdman jour même avec le langage et la façon dont on le perçoit, ce que la postface explique, rendant les choses encore plus complexes pour nous français qui devons nous débrouiller avec une traduction.
Chaque détail compte
A remarquer également que le témoignage de Frank arrive en premier et qu’il est deux fois plus long que celui de son oncle Affleck. Bien évidemment, le deuxième est beaucoup plus précis et dénué d’affect. C’est lui qui situe l’arrivée d’Imelda à Lemington en 1950. Après un témoignage clair et plus concis, quel crédit accorder à celui de Frank ? On note par exemple que les deux hommes ne donnent pas le même nom au chien de la famille, mort dans des conditions douteuses. Quant à l’oncle Affleck, même par écrit, il ne désigne quasiment jamais Frank par son prénom, préférant le surnom de Superbo qu’Imelda lui donnait, dit-il, ironiquement. Ce qui ressort des deux témoignages, c’est l’antagonisme entre Frank et son oncle Affleck. Dans ces conditions, il apparaît évident que chacun présente l’autre de façon partiale. Charge au lecteur d’évaluer la crédibilité de chaque détail, pour tenter de justifier ce qui constituera son avis.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné