Un érudit/esthète/poète/voyageur digresse à tout va et étale sa culture à chaque page sans même prendre la peine de construire une intrigue. L'auteur (qui correspondrait au personnage de Charles dans le roman) raconte l'histoire de sa femme, la chanteuse et actrice allemande Ingrid Caven (star allemande de l'après guerre, une sorte d'héritière de Lili Marlene et muse de Fassbinder si j'ai bien compris). A moins d'avoir une passion pour la chanteuse et/ou le cinéma de R.W. Fassbinder (1er mari d'Ingrid), il est inutile de perdre son temps avec ce livre.
Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? l'auteur décide de faire son récit d'une façon anarchique, passant d'une anecdote à l'autre, avec des sauts dans le temps, en mélangeant ses souvenirs à lui avec ceux d'Ingrid, sans prendre la peine d'expliquer le contexte historique. Ça ressemble beaucoup aux souvenirs d'un papi gâteux qui dégoise sur ses souvenirs, ses rencontres, ses voyages sans chercher à savoir si son interlocuteur comprend quelque chose.
Les première pages sont séduisantes. On est surpris par cette tentative de tracer un portrait et résumer une vie par touches avec des phrases qui s'enchaînent sans autre lien logique que des associations d'idée originales dans la tête de l'auteur. Cela s'assimile à un exercice poétique ambitieux. Mais au bout de 50 pages cela devient lassant, redondant et stérile. L'auteur explique d'ailleurs sa démarche. Ingrid Caven cherche dans son chant des sonorités que lui recherche dans son écriture "la recherche d'un son nouveau, de maintenant, une autre voix. Le début d'une aventure, comme si ça devait la transformer, et pas juste sa voix, aussi une autre tournure d'esprit, Geist, une nouvelle forme. Une aventure, par les chemins des écoliers, des chemins de traverse caillouteux et pleins d'ornières, des choses apparemment sans importance, ainsi, dans un roman, des digressions, dans une phrase des dérives, rencontres de hasard, même un peu interlopes ou du troisième type, les déboussolés de la ligne droite appellent cela désordre".
Cinématographiquement, la même démarche avait été brillamment suivie par Amalric dans son alternative au Biopic sur la chanteuse "Barbara". Ici en revanche, la tentative est ratée. Littérairement, on obtient des délires stériles et prétentieux très proches de "Tiens ferme ta couronne" de Haenel. D'ailleurs Schuhl et Haenel sont édités dans la collecté "L'Infini" chez Gallimard, dirigée par Philippe Sollers (autre champion de la digression, du nombrilisme et de la culture confiture).
En conclusion, si comme moi vous êtes un "déboussolé de la ligne droite" qui aime bien les récits construits qui servent à autre chose qu'à montrer l'étendue de la culture et de l'entregent de l'auteur, évitez ce livre qui n'est qu'une collection "de phrases à la dérive" où les "mots se rencontrent au hasard".