S’il n’était autrefois que « la conséquence et non le but d’une œuvre ou d’une action », les priorités se sont aujourd’hui inversées : « Le succès est la nouvelle religion. » C’est lui désormais « le but et non la conséquence », le Graal moderne accessible au plus commun des mortels, pourvu que, même sans talent aucun - « Tout vient prouver, en effet, que le caractère le plus propice au succès est de n’en avoir aucun (talent) et qu’écrire du rien sur du rien (...) ne dessert nullement votre ascension vers les cimes » -, il sache faire siennes certaines règles. Ces règles, Lydie Salvayre les a cyniquement rassemblées en une satire vitriolée, qui, prenant la forme d’un vrai-faux manuel du savoir-réussir, nous renvoie, grotesques Narcisses, à l’inanité de nos impostures.
Ecrivains de tout poil, éditeurs tendant à « privilégier les déjà privilégiés, et à négliger les déjà négligés », journalistes et animateurs dotés de « la désinvolture et de l’élégance crâne d’un Cyril Hanouna », hommes influents qui usent « de leur esprit comme de leur fortune : ne le dépensant que sciemment et à la seule condition qu’il rapporte », ou encore influenceuses « bookstagrameuses » aux « dimensions inversement proportionnelles à celles de l’esprit » et qui vouent « une dévotion toute particulière à leur gueule, à leurs seins, et par-dessus tout à leur cul, qui, comme le rumsteak chez le bœuf, semble constituer à leurs yeux le morceau de choix » : nul n’échappe aux féroces coups de griffe et de plume, gantés d’esprit et d’une élégance d’écriture volontiers désuète, qu’en exutoire à son exaspération et à sa révolte, l’auteur assène avec jubilation, dans un exercice rhétorique aussi sévère que railleur.
Sans même verser dans l’outrance ni la caricature, ses observations caustiques font mouche et construisent un inventaire, ô combien peu flatteur, des différents profils à l’oeuvre dans le monde des livres et de la littérature. Et même si le rire nous emporte, la consternation n’est jamais très loin sous le sarcasme, lorsque tout cela se résume en brochettes d’égos boursouflés, rassemblés en coteries motivées par l’arrivisme bien plus que par la promotion d’oeuvres de qualité, et en un marketing de l’inculture et de la médiocrité, où la notoriété se bâtit sur le brillant de l’apparence et grâce à la supercherie de ces « nouveaux territoires virtuels » où l’on peut « affirmer, sans preuves vérifiables, que vos produits s’arrachent ; les gratifier de vertus qu’ils ne possèdent en rien ; vendre pour authentiques de faux objets de marque ; cameloter la poudre dite de perlimpinpin ; gonfler outrageusement le chiffre de vos likes ; et faire accroire, pour résumer, n’importe quel bobard. »
Alors, comment atteindre au succès quand on est écrivain ? Les recommandations de Lydie Salvayre dans cette parodie de manuel pour les apprentis de la réussite les inciteront peut-être à réviser leurs priorités s’ils n’ont « pas de goût pour le tapin, ni pour les laisses autour du cou » et si, comme Marcel Proust, ils préfèrent penser que « les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l’obscurité et du silence. » Coup de coeur.
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