« Isolation », premier opus du « Cycle cosmologique subjectif » de Greg Egan, a les défauts que l'on peut attendre de la plupart des romans labellisés "hard science": un style un peu froid, des explications scientifiques qui peuvent vite devenir envahissantes et un intérêt somme toute limité pour les personnages. Il faut accepter le fait que l'on est devant de la littérature d'idées. Et de ce côté là, Egan assure. Méchamment même.
Tandis que Nick, le héros, plonge toujours plus profondément dans l'équanimité parfaite offerte par ses mods, nanomachines pouvant câbler le cerveau humain dans à peu près n'importe quelle configuration, le lecteur ne peut s'empêcher de ressentir un certain malaise, une envie jalouse ou un mélange pervers des deux: tout est possible, à condition de cibler les bons neurones. L'Homme peut se recréer à l'envi, se connecter à toutes les sources d'information imaginables, supprimer les sentiments qu'il juge inutiles, asservir ses semblables ou les libérer du vide de leur existence. Le mod devient source de plaisir infini, nouvelle théorie de l'évolution à l'échelle d'une vie, nouveau Dieu de synthèse. Le héros semble ainsi s'affadir mais pose toujours les bonnes questions, celles qui forceront le lecteur à interroger sa propre notion d'humanité.
Mais cela n'est encore rien comparé à ce qui rend le roman totalement unique et vertigineux: la maitrise des lois quantiques. Cette fois, tout devient possible à un niveau universel. Le mod ultime... Je ne saurai trop vous conseiller de lire un ou deux livres de vulgarisation quantique avant d'aborder « Isolation ». Même sans cela, la compréhension restera possible, mais vous passerez à côté de ce vertige qui étreint celui qui constate l'horrible cohérence des ambitions d'Egan. Jamais je n'aurais cru qu'un livre de fiction irait aussi loin dans l'exploration de la nature physique de la réalité, non pas en usant de poésie ou de spiritualité, mais bien en explorant systématiquement, jusqu'à la folie, tous les chemins sous-entendus par la théorie quantique moderne. Les voies de l'être sont innombrables, toute chose est à la fois une et multiple.
Je suis devant mon clavier en train d'écrire ce foutu compte-rendu et je me rends compte que je ne peux pas vraiment partager avec vous la puissance de ce que j'ai ressenti.
Je voulais écrire un foutu compte-rendu mais, me rendant compte de l'impuissance de ma prose à partager efficacement mes impressions de lecture, j'ai plutôt décidé de mater le DVD d'Insidious 2.
Je crois que je passe trop de temps sur Senscritique. Je comptais écrire un compte-rendu de lecture sur "Isolation" de Greg Egan, mais je préfère plutôt rendre visite à un pote et partager avec lui une bouteille de whisky en parlant amèrement de tout ce que nous aurions pu être, si seulement...
Devant mon clavier, je suis soudain pris d'une irrésistible envie de téléphoner à cette amie et de lui dire, qu'en fait, j'ai toujours été amoureux d'elle, depuis le premier jour.
Je ne me suis jamais inscrit sur Senscritique. Ni même Facebook, Youtube et toutes ces conneries qui nous bouffent des heures et des jours et des mois d'existence. J'habite dans un petit village perdu dans les contreforts de l’Himalaya et je me contente de levers de soleil qui valent tous les livres, les films et les musiques dont vous pourrez jamais rêver.
Je suis en lévitation à 50 mètres au-dessus de l'Océan Indien, à mi-chemin entre la côte ouest de l'Australie et les franges sud de l'Indonésie. Des masses d'eau se soulèvent dans un concert orgiaque, se cristallisent en un palais de glace qui s'élève à ma rencontre, à la conquête de l'espace et des étoiles.
Tous ces « je » existent selon des taux de probabilité très différents, mais ils existent. La banalité de notre quotidien ne doit pas nous faire oublier les miracles qui meurent à chacun de nos abandons.