En 2003, alors qu'il a déjà publié 7 de ses romans dont, pour citer les plus importants Neige et Mon nom est rouge, mais qu'il n'a (pourtant) pas encore reçu le prix Nobel, Pamuk publie ce Istanbul, qui, s'il se présente comme un portrait de la ville de l'écrivain turc n'est rien d'autre qu'une autobiographie déguisée.
Sur 540 pages truffées de photographies familiales ou de grands photographes stambouliotes comme Ara Güler, et à travers 37 chapitres, Pamuk nous parle de sa ville et de lui-même : du Bosphore bien sûr, de la Corne d'Or, des yali, des vapur, des cimetières, des chiens, des incendies, des naufrages, mais aussi de sa famille : de son père, de sa mère, et de son frère.
Il s'intéresse également à la vision occidentale de la ville à travers les auteurs qui l'ont visitée, et notamment Nerval, Gautier et Flaubert, mais les parties où il parle des 4 écrivains tristes, est bien plus intéressante ; elle permet de découvrir pour ceux qui ne les connaissent pas : Ahmet Rasim, Ekrem Koçu, Tanpinar et Yahia Kemal. Et cela est d'autant plus intéressant que l'écrivain nous parle de ses rapports à ces écrivains qui vivaient dans des quartiers proches du sien, et comment ils l'ont influencé.
Car en effet, de nombreux éléments de ce livre nous évoquent les origines du monde littéraire que Pamuk a créé, et donc des clés de lecture de ses romans. Le jeune modèle dont il parle dans le 35e chapitre "Premier amour" m'a par exemple immédiatement fait penser au personnage de Füsun dans Le Musée de l'Innocence, et les exemples sont nombreux dans le livre, mais je m'en tiendrai uniquement à celui-là. Je conseille en effet au lecteur de faire comme moi et d'attendre de lire toute l'œuvre romanesque de Pamuk avant de s'attaquer à ce livre là. En effet, il aura d'autant plus de saveur pour celui qui, comme moi, a déjà lu toute l'œuvre romanesque de Pamuk, alors que pour celui qui le connait peu ou à peine, ce livre présentera beaucoup moins d’intérêt.
Cependant, ce livre n'est pas exempt des défauts pamukiens qu'on retrouve dans ses autres livres, à savoir principalement : la lourdeur, la répétition, un petit manque d'humour (même s'il y en a quand-même. Je pense notamment au chapitre sur la religion dont les analyses restent très superficielles. Il faudra aussi parfois passer au dessus de la vanité de l'auteur qui se montre à plusieurs reprises imbu de lui-même ou méprisant vis-à-vis de tel ou tel. Mais si l'on passe ces aspects rébarbatifs, et si l'on a la curiosité et la passion de la Turquie, on passera tout de même un bon et instructif moment en compagnie de son seul prix Nobel, Orhan Pamuk, peintre raté et écrivain (réussi ?).