Quoi de mieux que le choix de cette lecture pour un séjour de plusieurs mois dans celle qu’on appelle la « ville aux mille mosquées » ? Car autant qu’un livre autobiographique, ce roman est l’essai de la ville, Istanbul. C’est, davantage que dans cette ville, à travers elle-même, que l’auteur-narrateur vit, grandit et se construit. Une ville qui, comme dans le corps d’enfant puis d’adolescent de celui par lequel on lit, s’émeut et se transforme, hésite, émerge, non sans difficulté, avec autodestruction.
Nous arrivons là à un autre point essentiel de ce livre à l’écriture tout autant rude que dansante. C’est la mélancolie. Le concept peut s’avouer flou : nous avons tous nos propres mélancolies, et nos définitions qui vont avec. Pour Orhan Pamuk, artiste solitaire, c’est l’hüzün, une mélancolie partagée, qui ne peux prendre sa signification que par Istanbul –la fumée noire des bateaux, les immeubles délabrés, la brume du soir dans les rues les plus sinueuses, le bruit de fond, de grouillement, permanent, …-.
Un spleen qui se voit, plus qu’assumé, revendiqué, et ce pour chaque habitant, chaque recoin de la ville dont il est question. Il en émerge une poésie, qui ne fait que confirmer le talent de l’auteur. Du débris, de la crasse, de la tristesse ambiante, émergent une langueur de vivre, et le laid, de par sa force, devient splendeur. De même que par le récit autocentré d’un long pan de la vie d’Orhan Pamuk, c’est l’histoire d’Istanbul qui en resurgit à travers son prisme.