Autant le dire tout de suite, ce livre « J'avoue que j'ai vécu » de Pablo Neruda sont des mémoires de grande qualité tant d'un point de vue littéraire que de l'intérêt du récit proprement dit et des sujets abordés par le prix Nobel de littérature 1971.
Car si Neruda a été un grand poète il fût aussi un diplomate dans de nombreux pays et un militant communiste. D'où le grand intérêt de ses mémoires car comme il le dit lui-même l'auteur a eu une vie riche, passionnante et multiple.
Cet ouvrage a fini d'être rédigé juste avant sa mort en 1973 (Allende souffrait d'un cancer mais certains avancent l'hypothèse d'un assassinat politique).
Neruda évoque bien sur son enfance et son adolescence, pauvre (presque la misère même) mais pas malheureuse, ses premiers poèmes, ses années de bohèmes, ses premières rencontres marquantes avec d'autres poètes et artistes chiliens, son goût précoce pour la poésie, celle qu'il écrit en cachette.
Neruda a beaucoup voyagé : comme consul ou ambassadeur en Asie (Rangoon, Ceylan), au Mexique, puis comme militant de la paix en Inde, en Russie...Et évidemment comme écrivains mondialement connus et reconnus.
Beaucoup voyagé, beaucoup vécu et donc cotoyé des gens importants (Aragon, Eluard, Nehru, Allende, Picasso, Che Guevara...) ; à travers cette autobiographie on sent que Neruda a beaucoup observé, réfléchi sur le monde, l’Homme.
Et toujours son style limpide, travaillé, au vocabulaire riche, précis, ses descriptions, notamment des pays où il a voyagé (le Mexique, la Chine, le Ceylan surtout mais aussi l’Italie, la Russie...et bien sûr le Chili son pays natal, qu'il dépeint avec amour, tendresse et nostalgie).
Mes chapitres préférés, les plus beaux du livre, sont d'ailleurs pour moi ceux consacrés au Mexique et à Ceylan (actuel Sri Lanka).
Sans oublier le magnifique texte « les Dieux gisants » sur la religion et la symbolique chrétienne et bouddhiste.
Neruda porte également un regard bienveillant sur la nature (on trouve des descriptions magnifiques des paysages).
L'auteur adore la nature et les animaux et au-delà de belles pages sur les forêts, la mer, les montagnes on trouvera au fil des pages trois belles histoires avec un cygne, une mangouste et un agneau. Je vous laisse les découvrir par vous-mêmes.
On est admiratif devant la grande richesse du vocabulaire (très bonne traduction, c'est à noter), c'est poétique, travaillé, raffiné, on se délecte à lire chapitre après chapitre ce grand écrivain, un style très pur et un vocabulaire recherché et varié (mais accessible). Juste parfois quelques passages un peu ampoulés mais à peine.
Une vie liée à la poésie, aux voyages (de par son travail de diplomate/consul/ambassadeur mais aussi à son activisme politique de militant communiste et pacifiste.
Neruda en plus d'être poète était impliqué dans la politique en tant que militant communiste et là aussi ses mémoires et anecdotes, sont de qualité car Neruda malgré des choix parfois critiquables a été un humaniste et un pacifiste et surtout il a reconnu les erreurs de Staline qu'il aborde ici sans retenue.
A ce sujet Neruda apparaît sincère mais naïf (voir page 342 à 344 de l'édition en livre de poche) où il montre sa méconnaissance totale concernant la répression policière dans les pays soviétiques ou fait semblant de ne pas la voir, ce qui est possible car Neruda apparaît souvent comme humain et candide, on sent quelqu’un de sensible dont l'engagement est sincère, au service d'un idéal.
En plus de la Russie soviétique sont évoqués, la Chine, la Révolution espagnole et bien sur le Chili du début des années 70, avec sa rencontre avec Allende, son soutien à celui-ci, l'accession d'Allende à la présidence puis le coup d'Etat de Pinochet et des militaires.
Evidemment le chapitre sur son soutien à Allende est passionnant à une période où la montée des mouvements révolutionnaires en Amérique Latine était la hantise des USA.
Au final pas trop de sectarisme même s'il décoche quelques flèches aux surréalistes et aux anarchistes.
Une poésie parfois au service de la politique mais dire que Neruda était un poète politique est beaucoup trop réducteur : hormis les Hommes et les paysages il aborde comme tout bon poète les femmes et l'Amour.
Deux petits bémols :
Sa vision de la Révolution espagnole
Il faut signaler que Neruda qui avait beaucoup d'amis communistes en Espagne où il a vécu à l'époque de la guerre civile s'est beaucoup battu pour faire venir des réfugiés espagnols au Chili (même si on l'a accusé de faire un tri entre les bons réfugiés-les communistes et les mauvais réfugiés-les non communistes ; je ne peux pas trancher la question).
Par contre sa vision de la Révolution espagnole est digne des staliniens : une haine farouche contre les anarchistes moteurs de la Révolution et surtout une analyse complètement déplacée mais je n’insiste pas car ce n’est ici pas l’essentiel.
Le long chapitre final où il rend hommages aux autres poètes qu'il a connu ou qui l'ont marqué (avec aussi quelques flèches contre certains détracteurs et critiques) est le moins intéressant du livre, le plus fastidieux, une énumération légèrement longuette et qui nuit un peu au reste.
Pour conclure un ouvrage plus qu’intéressant de part ce qu'il raconte et surtout par son style et la façon qu’a Neruda de raconter, un grand livre avec bien sûr beaucoup de beauté et de poésie, des mémoires que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire (et même si parfois je suis en désaccord cela reste secondaire) .
Et l'humanisme de ce poète apparaît à travers chaque page de ce livre.
C'est une autobiographie, donc s’il n'y a rien à dire sur le style, magistral, il va sans dire que les faits racontés – intéressants – sont la version et la vision de l'auteur. Et ceci est valable pour toutes les autobiographies.
« Le Mexique vit en moi comme un petit aigle égaré qui circule dans mes veines.
Et la mort seule repliera ses ailes sur mon cœur de soldat endormi ».