L'arrivée au monde de Jeï, le héros de J'entends ta voix, n'est pas banal. A sa naissance, sa mère tente de se débarrasser de lui. Sauvé de justesse, une femme le recueille puis l'abandonne. Il vit un temps dans un foyer avant de s'enfuir, de devenir un gamin des rues se mêlant à des bandes qui pratiquent des jeux pervers. Mais, de plus en plus sensible au monde qui l'entoure, véritable capteur humain de la souffrance et même des objets, il poursuit son existence, avant même d'être adulte, à la tête de gangs de motards qui trouent la nuit de Séoul de leurs pétarades, dans un "excitant" jeu de course-poursuite avec la police ... Kim Young-ha n'est pas non plus un écrivain banal. Reconnaissable à son style froid et fluide, il s'est imposé en Corée par ses histoires singulières où il donne la parole aux marginaux, se refusant à distinguer le bien du mal dans des livres habilement construits qui flirtent avec l'onirisme et le fantastique ou, ici, le mysticisme avec la figure de Jeï, sorte de gourou à moto, qui dicte ses propres règles à ses disciples. Plusieurs narrateurs se succèdent dans J'entends ta voix, déroulant une intrigue faussement linéaire, violente et apaisée à la fois. Déroutante parfois mais captivante comme un thriller. L'auteur, lui-même, vient mettre son grain de sel, laissant entendre que le roman n'est pas qu'une fiction. Au lecteur de se faire sa propre religion. Ce que l'on retient avant tout du livre est la description sans concession et souvent crue d'un pan de la jeunesse coréenne qui se sent exclue d'une société policée en surface mais extrêmement agressive pour ceux qui ne suivent pas les règles. En ce sens, le livre rejoint certains films coréens qui, dans leurs excès mêmes, pointent du doigt le dysfonctionnement social d'un pays qui ne laisse d'autre choix que celui d'une normalité aliénante.