Dans la veine de son premier roman Petit pays qui, voilà huit ans, propulsait ce musicien et rappeur franco-rwandais sur le devant de la scène littéraire, Gaël Faye nourrit une nouvelle trame romanesque des dramatiques expériences de sa famille maternelle. Si Petit pays parlait d’une enfance, comme la sienne expatriée au Burundi après les premières vagues de persécutions des Tutsis au Rwanda en 1959, mais là aussi rattrapée par la guerre civile et ethnique qui y éclate en 1993, Jacaranda raconte les efforts d’un jeune homme versaillais, de père français et de mère rwandaise, pour reconstituer, malgré le silence familial, le parcours tragique des siens. Etagé sur quatre générations, le récit dessine en transparence le dernier siècle de l’histoire du Rwanda, des racines coloniales du génocide jusqu’à ses conséquences aujourd’hui, alors que le pays tente douloureusement de se reconstruire.
En 1994, Milan le narrateur a douze ans et se heurte sans comprendre au mutisme de sa mère qui, s’étant toujours soigneusement gardée d’évoquer son passé et son pays d’origine depuis son arrivée en France une vingtaine d’années plus tôt, se referme plus que jamais lorsque le génocide fait malgré tout effraction chez eux par le biais des médias. Dès lors et pendant ce qui durera une bonne partie de sa vie, Milan n’aura de cesse de comprendre les raisons du silence maternel. A mesure de ses séjours au Rwanda, le jeune homme passe progressivement d’une posture d’étranger que tout surprend, voire rebute, et qui lui vaut d’être traité en muzungu, autrement dit en Blanc malgré son teint métissé, à celle d’un véritable enfant du pays, aux attaches suffisamment puissantes pour qu’il n’ait plus envie de repartir et fasse sien le combat des habitants pour leur avenir.
Tout en retenue dans sa simplicité sobre et fluide, le récit s’avère fort didactique dans sa manière d’expliciter, au travers de personnages d’une authenticité manifeste, les tenants et les aboutissants du génocide rwandais. Et c’est pour le lecteur une vraie remise à l’heure des pendules qui s’effectue au fil des pages, alors que, bien loin de la représentation généralisée par les médias d’une déflagration de violence ethnique irrationnelle et barbare, l’on découvre les responsabilités occidentales dans l’instrumentalisation, initiée de longue date à des fins coloniales et politiques, des ressentiments entre ethnies. Et puis, maintenant que le pays est retombé dans l’oubli médiatique, se pose pourtant la question de l’après. Comment se reconstruire dans ce qui est devenu, « et pour longtemps encore, une société de défiance » ? Montrant, à travers son personnage Stella, les terribles répercussions psychiques sur les nouvelles générations quand elles sont privées de mots, l’auteur, par ailleurs secrétaire du Collectif pour les parties civiles du Rwanda fondé par ses beaux-parents, s’attaque ici à la chape du silence, tandis que se succèdent les commémorations indispensables à la mémoire et que les juridictions gacaca spécialement créées dans l’esprit des tribunaux communautaires villageois s’efforcent de couper court à l’engrenage du sang et de la vengeance.
Essentiel pour ce qu’il offre de compréhension intime du Rwanda et pour ce qu’il brise de silence, si pernicieux pour la résilience des nouvelles générations, ce second roman, incroyablement lumineux et facile à lire malgré l’extrême sensibilité de son sujet, mérite indéniablement le même succès que le multi-récompensé Petit Pays. Coup de coeur.
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