Jacaranda
7.9
Jacaranda

livre de Gaël Faye ()

Des feuilles qui tombent au ralenti ne suffit pas à faire de la poésie.

Mauvais, vraiment mauvais.

Les personnages ont un seul trait de personnalité, ils s’expriment tous de la même manière, nous n’entendons que Gaël Faye à travers eux et son ton monotone : un faux spleen enrobant un regard au mieux naïf au pire condescendant sur les personnages qu’il nous présente.

Circuler, il n’y a rien à voir ici, aucune littérature en vue : « Il était minuit [Point]. Eusébie et Stella s’étaient couchées de bonne heure [Point]. Tout était calme et plongé dans l’obscurité [Point]. Sur le point de m’endormir, j’ai reçu un texto de Sartre [Point]. »

« Nous sommes restés cachés dans la maison toute la journée [Point]. J’ai passé des coups de téléphone aux ambassades étrangères et j’ai tenté de contacter les Nations unies, sans succès [Point]. Les filles étaient affolées [Point]. Christian, mon beau garçon, rassurait ses sœurs autant qu’il pouvait d’un courage exemplaire [Point]. »

Peut-on peut faire plus chiant encore ? Sujet-verbe-complément, sujets-verbe-complément, olala, sujet-complément–verbe : incroyable, il se passe quelque chose.

Non, il ne suffit pas d’employer le passé composé à tout bout de champs pour retranscrire une parole orale, cela donne juste l’impression d’écouter un enfant nous raconter sa journée d’école (ce qui peut avoir son charme, mais pas dans un roman sur le génocide rwandais).

C’est terrible cette manière totalement lisse de raconter un tel drame, une telle apocalypse.

Je suis convaincu que la forme d’une œuvre est plus source de richesse que le sujet que l’on aborde. De plus je pense que plus la forme est pertinente et puissante plus elle sert le fond de son propos.

Ici le fond, à savoir : les secousses traumatiques sur plusieurs générations engendrées par une succession de massacres, est totalement hors de porté pour nous qui lisons ce livre. Raconter les faits de manière si puérile, si peu travaillé, comme si on avait à faire à un exposé de 3ème (encore une fois je n’ai rien contre les exposés de 3ème mais il me semble que Faye a de plus grandes ambitions avec ce livre) donne une représentation ultra simpliste des multiples conséquences des divers traumatismes et de leurs entremêlements. Le livre ne dit rien d’autre que : « les massacres c’est l’horreur et les gens qui ont subit ces massacres vont mal et le lien social est difficile à se reformer après tout ça ». Et ? C’est tout ? Il n’y a rien d’autre à dire à raconter ? Quelque chose de neuf ? De plus complexe ? Voir subversif ?

Un exemple de ce qui aurait pu être raconter : les relations sexuelles entre Eusébie et Alfred. Dans le livre on nous évoque de manière puritaine qu’Alfred et Eusébie ont conçu Stella alors qu’ils avaient chacun perdu toute leur famille. Là, il y a quelque chose à dire de neuf : le plaisir continu d’exister même après avoir tout perdu, les tensions accumulées se sublimant dans un acte sexuel après des années d’horreurs vécues : que ressent-on comme libérations à ce moment-là ? La surprise de la douceur, celle du lâcher prise, mais que ce passe-t-il quand on lâche le contrôle après avoir surveiller ses arrières pendant tant de temps ? Culpabilise-t-on de prendre du plaisir alors que les autres sont morts ? Mais à quoi bon avoir survécu si ce n’est pas pour prendre du plaisir quand, enfin, un moment de répit se présente ?

Mais non, dans ce livre il n’existe que le spleen, les corps ne peuvent que souffrir, seul l’art peut un peu nous soulager du poids du monde.

C’est une vision d’emo ça, non ? (Faye n’a pas l’air de s’en revendiquer en tout cas). C’est très nihiliste quand même et ça manque « d’en même temps », tout n’est que bloc dans ce récit. Les personnages sont tous fermées et secrets : mais cette réaction n’est pas la seule possible face à un traumatisme.

Faye aurait pu se concentrer sur Stella, l’idée est pas mal : elle n’a pas vécu les massacres mais l’histoire collective, les traumatismes de sa mère vont entraîner une pathologie mentale chez elle. Super comme idée, moi je veux qu’on me raconte cette histoire, c’est un peu ce qu’on me promet dans le prologue. Et en fait : Mère de Stella traumatisée -> Stella nait et on lui cache les tragédies de sa famille -> On lui révèle et (oui l’histoire de l’arbre, wouahou c’est trop poétique un arbre où les morts vont) elle développe une pathologie. Et c’est tout. La complexité de Stella ? Il n’y en a pas, elle n’est qu’une marionnette de plus pour Faye qui ne se sert de ses personnages que de manière utilitaire. Stella c’est le traumatisme trans-générationnelle, Claude c’est le désir de vengeance et la panne de l’ascenseur social, Sartre, l’héritage des enfants de bourreaux, Vénancia, l’exil, Eusébie l’acharnement à construire l’avenir au Rwanda. Et la grand-mère ne sert que de prétexte pour faire le lien intergénérationnel.

Les personnages-fonction est ce qu’il y a de pire en littérature. C’est même de l’anti-littérature. Une fois qu’on a comprit la fonction, on s’emmerde.

Si Faye avait voulu faire un documentaire, il avait semble-il de la matière, mais il a voulu faire un roman et c’est raté.


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le 9 janv. 2025

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