La construction de ce récit est originale : Ni personnage principal ni suite d’événements chronologiques : Nous naviguons autant en avant qu’en arrière qu’à travers les différents personnages. Le réel et le merveilleux sont aussi mélangés, l’avertissement nous prévient, nous sommes face à une fable, ici tout est possible.
Et pourtant nous ne sommes pas perdu.es, les événements se suivent et nous les suivons, avec difficulté mais avec clarté. D’ailleurs la difficulté ne vient pas tant de toutes ces discontinuités mais bien de la violence vraiment omniprésente qui nous est imposé.
L’humour, aussi omniprésent que l’horreur, l’accompagne et la souligne plus qu’elle ne la désamorce. C’est stupéfiant combien l’auteur parvient à équilibrer tous ces ingrédients sans jamais tomber ni dans le misérabilisme ni dans le voyeurisme trash.
Deux forces s’entrecroisent : la puissance et l’absurde. L’absurde non pas camusien mais bien dans le sens : ridicule, pathétique.
Que ce soient les noms des tyrans, les apparitions de Martial (esprit d’une puissance affolante et ridiculement inutile tant les deux Chaïdana se foutent de ces avertissements), les quantités (d’enfants, d’années vécus), les lubies délirantes de chaque tyran, les déferlements de tortures inutiles, etc. : tout ceci est absurde.
Ces tyrans que la toute-puissance ne rassasie jamais subissent tous le même sort : ils deviennent obsédés par ce qui échappe à leur contrôle et deviennent fou.
Le prétexte de la fable, comme l’humour, est un outil que l’auteur utilise à merveille, il lui permet de souligner et de nous donner accès à un ressenti authentique en l’exagérant. Le ton du livre est moqueur, ni accusateur, ni pathétique, non, il se moque de ce théâtre violent parce qu’il le prend au sérieux. Et prendre au sérieux l’horreur c’est essayer de la retranscrire dans sa complexité et non pas écrire seulement une idée vaguement morale qu’on se fait de l’horreur. L’auteur y arrive parce qu’il mélange correctement les ingrédients qu’il décide d’utiliser.
Nous ressortons de ces 160 petites pages épuisé.es et toujours autant impuissant.e.
Cependant, nous avons, peut-être, touché.es un peu ce que c’est que l’horreur.