Lu en Février 2021. Édition GF. 8/10.
Œuvre à part dans mon expérience de lecture. Déjà, le bloc de 250 pages de dialogue sans chapitre à tendance à faire peur. Mais en réalité, ça se lit très bien. Ce très long dialogue méditatif sur le tout et le rien (surtout le rien) est parsemé de récits enchâssés qui nous tiennent hagards ou du moins éveillés. Diderot, avec ce que la critique a nommé anti-roman, a su s’amuser avec les codes du genre et proposer des choses très créatives comme une préfiguration des histoires dont vous êtes le héros. (p63-64)
Cela me fait dire que ce roman serait difficile à étudier en entier dans le détail, tant il part dans tous les sens. J'ai même l’impression que le livre nous invite à penser parfois à autre chose pendant la lecture. En bref tout ça n'est qu'une gigantesque parenthèse. Pourtant, bien que le rythme soit brisé en permanence, il y a une envie de connaître les histoires de Jacques, et de son maître, et de leurs interlocuteurs, sans parler de chacune des interruptions de l'auteur (Diderot brise allégrement le 4ème mur) qui s'avèrent intéressantes bien qu’en apparence elles soient des broutilles longuettes. En effet, les interventions de Diderot surviennent pendant des "temps de chargement" (Par exemple : il parle quand Jacques et son maître s'endorment), ce qui convient au rythme lent et bizarrement elliptique de l’histoire.
Finalement on reste jusqu’à la fin pour connaître (nous l’espérons) les histoires d'amours de Jacques, et ce sont en fait les histoires des amours du maître qui se déroulent tranquillement... Les deux compères sont extrêmement sympathiques et attachants et sont de ce fait, la véritable force du livre, un duo tout à fait mythique assurément inspirés de Sancho et Don Quichotte.
Diderot philosophe de son état, a ancré de forts opinions dans son livre. Jacques est un déterministe absolu inspiré notamment de Spinoza. Permet de reprendre une position qui restabilise la religion établie. Le destin est le seul Dieu.
De plus, Diderot partage ses convictions libertines avec nombre de passages sexuels : la Fable de la gaine et du coutelet (P144), ou encore d'étonnantes descriptions sexuelles du "dépucelage" de Jacques qui ont dû sacrément choquer à l'époque (p238 et p287). Dans cette optique, L'histoire de Mme de la Pommeraye est un peu à part. Principale histoire indépendante, elle est très sympathique et surtout très intéressante pour comprendre la morale de la culture libertine, du mariage et du pardon qui s'exerce vers 1770.
Auteur pré-révolutionnaire, un étonnant portrait des rapports de domination entre celui qui fait l'action ou la raconte comme Jacques, et son maître qui la subit ou l'écoute, est dressé (p198-199).
Ainsi, Jacques le Fataliste est une œuvre assez difficile mais un beau témoignage de créativité, et une histoire très sympathique écrite par Diderot.
Tout est bien qui finit bien dans cette histoire certainement que "c'était écrit".


« Il est évident que je ne fais pas un roman, puisque je néglige ce qu’un romancier ne manquerait pas d’employer. Celui qui prendrait ce que j’écris pour la vérité serait peut-être moins dans l’erreur que celui qui la prendrait pour une fable. » p51-52 (Diderot)
« Tous les jours on couche avec des femmes qu’on n’aime pas, et l’on ne couche pas avec les femmes qu’on aime » p70 (Le Maître)
« Je suis femme, il me convient de dire des femmes tout ce qu’il me plaire ; je n’ai que faire de votre approbation » p134 (L’hôtesse à Jacques)
« Il y avait des jours où il (Jason le grand-père de Jacques) était tenté de ne pas croire la Bible à cause des redites, qu’il regardait comme un bavardage indigne du Saint-Esprit. » p143
« Jacques vous n’avez jamais été femme, encore moins honnête femme, et vous jugez d’après votre caractère qui n’est pas celui de Mme de la Poemmeraye » p176 (Le Maître)
« Jacques : Chacun à son chien ! » p201
« Si mon ouvrage est bon, il vous fera plaisir ; s’il est mauvais, il ne fera point de mal. Point de livre plus innocent qu’un mauvais livre » p243 (Diderot au lecteur)

Arimaakousei
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le 6 mars 2021

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