Je , François Villon est un roman qu'on pourrait qualifier d'historique , paru en 2006 et écrit par l'écrivain français Jean Teulé. Si vous êtes un habitué , ou un régulier de l'émission TV La Grande Librairie sur France 5 , ou en replay sur YT , alors il y a deux personnalités qui en plus de celle de François Brusnel devrait à présent vous êtres familières : Jean d'Ormesson , qui nous a malheureusement quitté le 5 décembre dernier et Jean Teulé. Avec sa figure affable et sa couleur de cheveux carotte , il s'était d'ailleurs rendu célèbre auprès des lycéens de ma génération en affirmant sur ce même plateau télé que Madame Bovary était un livre "gonflant" , et en rappelant dans l'hilarité générale que Flaubert lui même commentait sur son héroïne - je cite - "Elle commence à me faire chier cette conne qui prend son cul pour un cœur". Voilà...Cette seule séquence , facilement retrouvable sur le tube , me marqua considérablement en cette époque de révision pour le bac , faisant du bonhomme une figure que je considérais immédiatement comme agréable - suffisamment pour ne pas faire d'overdose de sa présence sur les plateaux télé ou les émission web auxquelles il est , ne le cachons pas , régulierement invité , au même titre qu'Amélie Nothomb par exemple. Teulé est nimbé de cet aura marquante , mais je ne finissais néanmoins par progressivement oublier le monsieur.
Un an , et quelques mois passèrent , mes illusions universitaires aussi et c'est au détour d'un soudain mais non moins intense accès d’intérêt pour la littérature médiévale que je recroise la route de l'écrivain Manchois. En effet , tout en errant sur ce bon vieux site de Senscritique à la recherche de quelques chose d'ancien - suffisamment pour provoquer en moi la curiosité du lecteur - je tombais presque par hasard sur la figure d'un sombre personnage du 15 em siècle répondant au nom de François de Montcorbier , bien plus connu sous le nom de François Villon. Poète tenté par le vice , on dit de lui qu'en plus d'être sans doute l'auteur le plus difficile à déchiffrer de la langue Française - en effet , celui ci écrivait en usant de plusieurs jargons , dont ceux à tout hasard des homosexuels et des mercenaires de son époque , qu'il métissait parfois avec un ancien/moyen-français à la croisée des influences - il en serait aussi le plus fascinant. Mais étant légèrement refroidi à l'idée de traduire en Français modernes des poèmes dont je ne savais rien , et lires des historien de la langue crypto-chrétien voyant en chaque syllabe versifié une allégorie au Livre de la Révélation , je préférais me rabattre sur la synthèse littéraire de ce nouveau spectre de mes envies de lectures qu'un homme charmant écrivit il y a de cela douze années aujourd'hui. Et cet homme charmant , c'est Jean Teulé , vous l'aurez compris.
Qui est François Villon ? Né sans aucun doute le 30 Mai 1431 , soit le jour où en Rouen Anglais brûlèrent Jeanne la bonne Lorraine , François est le fils d'un homme fraîchement pendu pour un vol sans gravité et d'une femme que l'on enterrera vivante sous le gibet lors de sa sixième année sur cette terre pour approximativement les mêmes raisons. Recueilli par la chanoine Guillaume de Villon qui est un père de substitution certes laxiste mais follement attentionné à l'égard de son filleul , François suivra des études à la faculté des arts et deviendra même clerc. Mais comme on dit "l'habit ne fait pas le moine" , et c'est tonsuré que Villon écrira certes des poèmes rafraîchissants mais paillard et subversif avant tout. En un Paris libéré du joug Anglais , puis plus tard dans la campagne Française tout aussi meurtrie , cet étourdissant personnage va se mettre à accomplir...strictement tout ce que la vie lui offre. A partir du moment où toutes ces choses sont dangereuses , extrêmes , violente. Pendant trente ans , François Villon va éclabousser de ses vers et de ses méfaits un monde qui va avoir bien du mal - beaucoup de mal - à le suivre , le comprendre mais qui lui pardonnera tout.
Avez vous lu L'Oeuvre Noir de Marguerite Yourcenar ? Vous figurez vous l'ambiance du livre , son souffle de liberté - incarné par l'humaniste et alchimiste Zénon - s'ébrouant par dessus un monde statique , froid et dur ? Eh bien à présent mêlait la au déchaînement de violence d'un livre tel que Méridien de Sang de Cormac MacCarthy et vous obtiendrez au terme de votre incongru mélange Je , François Villon , de Jean Teulé. Dire de ce livre qu'il est singulier ne serait pas suffisant ; ce livre fou tressaute entre vos doigts d'une malice sadique et d'un acharnement total.
Il est à ce jour l'un des rares livres , avec les deux précédents cités , que je n'ai pas lâché d'une semelle tant l'histoire qu'il propose est délirante à souhait.
En ce potage poisseux , rien ne vous est épargné. Scatologie , anthropophagie , torture , viol en réunion , massacres digne de la bande à Glanton...Tout est si finement raconté , si logiquement agencé dans ce récit qui est de plus une porte ouverte sur le Paris d'un monde médiévale désillusionné qu'en aucun instant vous vous dites " Ca y est ! J'en ai marre ! A trop vouloir en faire...". Non , il est rusé le Teulé ! Il vous fait patienter , vous fait comprendre que rien n'est jamais vraiment fini avec Villon et qu'encore aujourd'hui son ombre de trouvère semi-sociopathe hante chaque recueil de poésie , chaque bar , chaque bordel et chaque couloirs de l'Académie Française où les bons bourgeois réac qui prétendent "connaitre" notre langue au point de la structurer à leurs sauces oublient facilement que c'est d'en bas que vient le renouveau , la brise de fraîcheur et l'innovation littéraire - et ce même , et surtout si la brise transporte en elle une effluve de foutre séché , d'hypocras et de sang.
Parce que c'est ça , Villon : l'iconoclasme poétique à son paroxysme. Teulé a la bonté d'agrémenter son récits des poèmes , traduits et originaux , de Villon et on se rend bien vite compte qu'un type comme lui aurait déjà bien du mal à survivre à notre époque de moralisation permanente. Alors qu'il ait pu entuber tout son monde au 15em siecle , au point d'être sans doute l'un des rares types à échapper en permanence à la peine de mort , me dépasse ! Tout ce que Teulé rapporte est à 80 pourcent véridique ; il ne brode finalement que très peu autour du personnage , et son époque faite d'écorcheurs et d'abbaye à putes.
Bref , j'en dis trop...Comme toujours quand un livre me marque au fer rouge. Il va me falloir du temps pour l'oublier , celui là. En tout cas , si vous avez l'occasion de le lire , jetez vous dessus ! Moi , je l'ai descendu en moins de jours qu'a l'accoutumé ; du coup , je suis assoiffé , en quête d'un nouveau récit percutant.