Je m'en vais
6.9
Je m'en vais

livre de Jean Echenoz (1999)

Les Éditions de Minuit, ces couvertures blanches et bleues, ce minimalisme et cette sobriété, proposent la plupart des temps des œuvres qui leur ressemblent. C'est pour ça que ce livre m'a fait de l'œil. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que tous les livres de Jean Echenoz soient publiés par cette maison d'édition. Et oui, la qualité est sans conteste au rendez-vous.


Attention spoilers
Ce roman traite d'un sujet disons aventureux : un homme, galeriste d'art, quitte sa femme et entreprend un voyage au Pôle Nord pour récupérer un trésor. La structure même du roman, avec une alternance de chapitres qui suivent deux personnages différents avant de se relier, est assez classique des romans policiers et polars. Mais Echenoz nous surprend, et par bien des manières.


D'abord, l'écriture. Le style est précis, mais aussi métaphorique, avec des envolées presque lyriques, des métaphores limpides et concrètes dont on se dit "comme c'est bien vu". Nous ne sommes donc pas dans un roman policier au style passable ou correct, il y a une vraie recherche de la bonne formule, de ce qui touchera le lecteur. En cela, Echenoz semble influencé par le Nouveau Roman avec des descriptions précises, concises, mais en même temps décalées, et inattendues.


Ensuite le discours. Echenoz utilise un style indirect libre : il n'y a jamais de guillemets, de retours à la ligne. C'est au lecteur de comprendre qui parle. S'ensuit une confusion par moments : est-ce le narrateur qui s'exprime ou le personnage ? Cela crée un vrai rythme de lecture, tout en évitant des coupures dans le texte. Surtout, cela permet au narrateur de prendre une place particulière...


Car dans ce roman, le narrateur est roi. Comme Diderot, Echenoz nous prouve que le narrateur a tous les droits. Il s'adresse à nous, en nous faisant bien comprendre qu'il est le maître à bord :"Changeons d'horizon désormais", ou encore au milieu d'un scène d'action "Nous n'avons pas pris le temps de décrire le personnage - nous le faisons maintenant". Cette proximité est drôle, surprenante parfois. Elle symbolise bien ce roman, qui a obtenu le Prix Goncourt en 1999.


Enfin, le roman forme une boucle : il commence et finit par "Je m'en vais", rappelant ainsi En attendant Godot de Beckett et cette absurdité qui le caractérise, ou même l'éternel retour nietzschéen.


Echenoz avec Je m'en vais nous dit que l'écrivain est maître : s'il veut donner des allures de polar à son roman, tout en lui imposant un rythme lent et des rebondissements peu nombreux, il peut. S'il veut nous faire croire à l'évolution du personnage, qui cumule les conquêtes féminines, il peut. Ce roman se lit très bien, il tient en haleine, et pourtant a un rythme assez lent. J'ai l'impression qu'Echenoz propose ici un forme de pastiche littéraire du genre "polar". Mais ne vous y trompez pas : il s'agit bien d'une œuvre littéraire qui réinterprète ses prédécesseurs et réinvente la littérature, à sa manière.

MarianneBar
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le 10 mai 2020

Critique lue 77 fois

MarianneBar

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