Et bien voilà, après un mois et demi de lecture, je suis enfin venu à bout du monstre d'Alan Moore. On fait le bilan, calmement, mais je suis pas content.
Il faut d'abord reconnaître que le livre est sacrément impressionnant, et ce dans tous les sens du terme (1270 pages, quand même). L'aura et les oeuvres d'Alan Moore rendaient l'expérience excitante, et par bien des aspects on n'est pas déçu. Rarement on aura lu quoi que ce soit d'aussi intelligent. Moore ne laisse rien au hasard et tissé tout au long du livre une toile où chaque rencontre, chaque situation, aura son importance. Le travail sur la littérature elle-même est également bluffant, puisque le maestro en profite pour s'essayer à la prose ou au théâtre, sans parler des innombrables changements de ton entre les trois parties. Mais tout ça c'est bien beau, mais ça ne suffit pas a transporter le lecteur n'est-ce pas ? Et c'est justement là qu'est le problème.
Le vrai problème du livre n'est donc pas la forme mais le fond. Disons le franchement : on se fait chier. Les différents chapitres ne semblent d'abord n'avoir aucun lien entre eux. On change même très largement d'époque et le véritable sujet de "Jerusalem" s'impose assez rapidement : Northampton, et plus particulièrement le quartier - ultra populaire - des Boroughs, matrice du père Moore. Il va donc s'appliquer a tisser une histoire du prolétariat anglais a travers le prisme de sa ville et des gens qui y ont vécu, réels, historiques ou fictionnels. Mais a moins d'être fasciné par l'urbanisation de cette ville, décrite dans les moindres détails, ou par l'Histoire de l'Angleterre, pas de quoi tenir le lecteur en haleine. La partie centrale a au moins le bon goût d'offrir une réelle trame narrative, mais n'est qu'un remake du "Club des 5". L'ensemble est loin d'être mauvais, c'est encore une fois extrêmement intelligent et intéressant, mais il est impossible de tisser le moindre affect envers les personnages, il n'y a pas vraiment d'intrigue, bref il est très compliqué de se frayer un chemin dans ce dédale. L'ensemble est souvent inutilement verbeux, Moore semble vraiment se regarder écrire, mais semble tout aussi incapable de se mettre a la place du lecteur. Un peu comme ce tonton passionné de bagnoles, qui met tout son cœur à nous en parler mais ne parvient qu'à obtenir de son auditoire une attention polie. Et sans trop en dire aux courageux qui voudraient se faire leur idée par eux-mêmes (et je vous y invite sincèrement), y a quand même une paire de chapitres qui ont mis notre résistance à rude épreuve tant le style employé s'y avérait rébarbatif.
Dans les dernières pages, un personnage se demande : "Cette [œuvre], malgré l'absence de lien tangible entre ces éléments volontairement disparates, était-elle censée raconter une histoire ?" Force est de constater que ce questionnement est aussi, en partie, le nôtre.
Alors qu'on s'entende bien : "Jerusalem" est un grand, un très grand livre, d'une ambition et d'une intelligence absolument dingues. Mais c'est surtout un livre qui demande beaucoup et donne très peu. Un livre qui se mérite donc. Mais est-ce un livre qui mérite ? À vous de voir.