Jérusalem
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Jérusalem

livre de Alan Moore (2016)

Puisque chacun y va de sa durée de lecture, il m’aura fallut 40 jours environ pour venir à bout de ce monstre (j’étais en vacance). J’étais assez excité à l’idée de lire un pavé aussi énorme, 1900 pages concoctées par nul autre que le grand Alan Moore. Me voici revenu de cette lecture de longue haleine, et il est temps de régler les comptes.


L’artifice principal de Jérusalem est le suivant : en disséminant dans tout son livre des références à ce qu’il a écrit plus tôt, Moore tente de rendre un aspect « monde » dans la mesure où rien n’est laissé au hasard. Tout ce qui est dit sera réutilisé plus tard, soit dans une autre perspective soit d’une manière approfondie. Ainsi le livre prend la forme d’un grand repliement constitué de mille échos, ou pour le dire plus trivialement, s’auto-cite sans cesse.
Derrière cet artifice qui n’a rien de très novateur, il n’y a pas grand chose de marquant. Moore peine à créer des personnages intéressants, tous insipides. Cela est dû au fait que toute la galerie créée par Moore est une galerie de bons samaritains, tous nobles d’âme et de cœur… Impossible donc de s’attacher à des prolétaires sans défauts si ce n'est celui d'être désargenté, d’autant que Moore n’octroie qu’un chapitre à chacun durant lesquels on les suit en train de se promener dans le quartier des Boroughs, Northampton (ce qui d’ailleurs finit par lasser, chaque chapitre a la même structure).
Moore est un anarchiste d’extrême gauche notoire, et on sent dans Jérusalem que son idéologie le rend paresseux. Moore n'arrive pas à créer des prolétaires mesquins ou pêcheurs car pour lui les pauvres sont gentils et les riches sont méchants. Les rares personnages moralement condamnables sont des bourgeois. C'est dommage car lorsque l'idéologie (quelle qu'elle soit) prend le pas sur l'ambigüité nécessaire à tout récit, à tout personnage pour qu'il soit intéressant; il ne peut en résulter qu'un roman manichéiste, peu crédible et manquant des nuances de gris qui composent le monde. Ici les habitants des Boroughs sont des misérables qui essaient de s’en sortir tandis qu’il sont oppressés par « les riches » qui les exploitent.


Je pense qu’on a laissé Alan Moore en roue libre parce qu’il est célèbre et vend bien. Sauf que être scénariste de génie n’est pas être écrivain de génie, et le constat est assez mordant dans Jérusalem où Moore palabre à n’en plus finir dans une écriture pompeuse, foisonnante, beaucoup trop riche en formules et descriptions. Le scénariste se répète souvent, insiste à outrance, tant bien que un certain nombre de chapitres se révèlent inutiles à la progression de l’intrigue. Moore semble n’avoir pas compris que l’art de l’écriture n’est pas de rajouter mais au contraire d’enlever.
Par exemple Moore rajoute des personnages historiques plus ou moins liés au Boroughs : Beckett, Cromwell, Chaplin et d’autres inconnus en France, qui lui donneront l’occasion de gloser sur l’histoire de l’Angleterre sans qu’ils n’aient vraiment de rôle déterminant. On met ici le doigt sur le problème principal de Jérusalem : L’intention première de chaque ajout n’est pas d’apporter quelque chose à l’intrigue ou au propos de l’histoire, mais d’atteindre l’aspect « monde » que l’auteur recherche. Comme une valise qu’on bourre encore et encore, ou plutôt une peinture à laquelle on rajoute mille détails en pensant qu’elle en sera plus impressionnante, plus puissante. Jérusalem en devient bourratif. L’intention de l’auteur précède le roman en lui-même puisqu’on décèle à chaque page ce désir d’ajouter des choses encore et encore afin de créer une œuvre immense.


Toujours dans cette intention, Moore s’amuse aussi à varier ses formes littéraires en incluant un chapitre en vers, un chapitre en pièce de théâtre, un chapitre sans ponctuation, un chapitre inspiré de Joyce (infernal, je l’ai sauté), etc. Parfois la variation est justifiée et stimulante, parfois on sent que c’est uniquement pour frimer. En effet Jérusalem part dans tous les sens en mêlant les époques, les genres, les styles. Mais tout cela ne se justifie souvent pas assez si ce n’est juste pour augmenter l’épaisseur du livre comme expliqué plus haut.


Ce qui m’aura peut-être le plus énervé à la lecture de Jérusalem, c’est la manière dont Moore ne prend pas assez au sérieux son ouvrage et le lecteur. Je ne l’ai réalisé que vers la fin, mais Moore dissémine partout des traits d’humour ratés, des blagues foireuses, et verse trop souvent dans l’exubérance (Les enfantômes de la seconde partie trop facétieux pour être crédibles, Cromwell qui lâche des pets gras, les enfants qui vont dompter un mammouth, les chevaux invisibles qui chient des merdes invisibles, l’écharpe de lapin, le chapeau melon, etc.) Beaucoup de détails ridicules, volontairement légers, drôles, mais inadéquats dans une récit si ambitieux et réaliste. Cet égarement de ton sort du livre trop souvent, empêche de s’impliquer dans l’histoire (peu étoffée qui plus est). Comme si Moore s’en foutait un peu au fond, et avait juste envie de raconter son histoire absurde sans vraiment prendre au sérieux la chose, et ce genre d’attitude a le don de m’énerver car je n’aime pas m’investir dans un livre si l’auteur ne le fait pas également. On a souvent l’impression de lire un ado zélé qui veut décrire à fond le monde imaginaire qu’il a inventé, au détriment des personnages ou de l’histoire, le tout saupoudré de réflexions niaises, où l’on prend en pitié les prolétaires qui font des travaux manuels et dont l’âme est « trouée » par leur basse condition (snif).


Malgré ces gros défauts, j’ai régulièrement passé un bon moment. La force de Jérusalem réside plutôt dans son scénario emprunt d’idées inspirées des mathématiques et de la cosmologie (je recommande d’ailleurs de se renseigner un peu sur les dimensions avant de lire Jérusalem). Après quelques centaines de page, l’intérêt commence à pointer le bout de son nez avec le scénario de Moore qui commence à prendre forme.
Une vaste mythologie qu’il tisse à travers la marche des chapitres, où tous les rouages ont un sens précis et où rien n’est laissé au hasard. Après une première partie qui dresse le portrait des Boroughs à travers douze personnages et diverses époques, Moore nous embarque dans une grande virée dans l’Au-delà dans une seconde partie originale mais plus linéaire en compagnie d’un gang d’enfantômes. Beaucoup de gras comme dit précédemment mais un certain plaisir de découvrir les facéties de Moore qui nous abreuve de pleins d’idées originales, mélange hétéroclite de Dante, Lewis Caroll, et la 4ème dimension. La troisième partie retrouve la forme de la première pour se terminer sur le début du roman comme une grande boucle temporelle.
Entre-temps Moore nous aura emmené jusqu’aux confins du temps, au fond d’une rivière glacée, dans un incendie, un chantier divin, etc. Il y a de bons passages il faut l’admettre ! L’écriture de Moore n’est pas toujours pénible, parfois je me suis laissé emporter par le lyrisme de l’auteur.


Et tandis que je lisais cette brique, j’avais un Jiminy Cricket sur mon épaule… Ma grand-mère. Mon illustre aïeule me voyant passer 2h chaque jour sur un livre plus gros que la Bible me répétait souvent : « Mais enfin ce n’est pas possible d’écrire des livres comme ça ! N’importe quoi ! On ne peut pas être tout le temps intéressant sur 2000 pages ! ».
Moi je la laissais dire car je préférais me faire mon avis moi-même, mais en fin de compte elle avait mille fois raison, le bon sens des vieux. Jérusalem est rarement passionnant. Je dirais même foutrement chiant. Non j’exagère. Jérusalem n’est pas particulièrement intelligent contrairement à ce que j’ai lu à divers endroit, complexe par moments certes, mais une fois le livre refermé et toutes les pièces réassemblées, le lecteur aura bien compris l’ensemble de l’histoire, logique mais somme toute peu marquante.
À la clé Jérusalem n’a rien de transcendantal, je dirais même qu’il paraît bien fade… Jérusalem est un gros roman à n’en pas douter, mais pas un grand roman.


La question qui ma taraudé depuis le début est donc la suivante : Cela vaut-il le coup de prendre le temps de lire Jérusalem ? Sachant que sur le même intervalle on peut lire deux fois Don Quichotte, ou trois fois Guerre et Paix, ou la moitié des Rougon-Macquart, ou cinquante fois Watchmen ?
Ma réponse est sans équivoque : Non. Jérusalem manque trop de maîtrise pour qu’il mérite qu’on dépense un mois et demi dessus (voire 6 mois pour l’un de mes co-critiqueurs !). Mais au moins je me réconforte à l’idée de pouvoir frimer devant mes amis, cet énorme pavé bien en évidence au milieu de ma bibliothèque.


Livres lus + Avis objectif d'un expert littéraire

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le 27 août 2021

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