Jérusalem est un livre-monde qui m’a littéralement noyée. Noyée dans son flot de personnages, d’époques, d’histoires et d’écritures en tout genre. Devant régulièrement fermer le livre pour émerger et reprendre mon souffle, il m’a fallut une année pour terminer cette bible des temps modernes.
Dans son oeuvre monumentale, Alan Moore offre un hommage ultime à sa ville natale Northampton, qu’il voit comme le centre du monde, un Jérusalem où les temps et les gens se croisent et s’impactent, écrivant ainsi la destinée inéluctable de chacun. L’éternalisme, c’est à dire la théorie physique selon laquelle passé, présent et futur coexistent sur une même ligne temporelle, est le fer de lance de l’auteur qui va ainsi faire traverser la ville et les vies de ses habitants à travers les siècles, faisant de Northampton une cité éternelle et absolue où tout perdure.
Nous sommes plus particulièrement plongés dans le quartier populaire de cette ville ouvrière déshéritée, les Boroughs, et nous suivons principalement les différentes générations d’une famille originaire du coin, les Vernall, clé de voûte du système temporo-spatial de la ville.
Divisé en trois parties, Jérusalem parle donc du temps, des clochards, des prostituées, des anges, des démons, des fantômes, des parties de billard, des mathématiques, des angles dans les plafonds, des pubs, du Destructeur, des guerres saintes et de fées comestibles. Bref, un gros Gloubi-boulga de fantastique, d’Histoire et de sociologie, avec une pointe de métaphysique et de philosophie pour rendre la chose encore plus complexe.
La première partie installe d’entrée de jeu des personnages venant d’époques différentes qui a priori n’ont aucun lien entre elles. L’auteur, par une écriture technique et très dense, dépeint chaque rue de sa ville dans des descriptions interminables et accumule des personnages trop vite introduits et aussitôt disparus au chapitre suivant, ce qui empêche de se les représenter suffisamment et de s’y attacher. Quelqu’un qui n’est pas familier à la culture anglo-saxonne et qui n’a jamais mis les pieds à Northampton pourra donc vite trouver cette partie redondante et ennuyeuse.
La seconde partie est selon moi la meilleure. Elle signe l’imagination incroyable du génie Alan Moore grâce à une épopée surdimensionnielle dans laquelle des enfants fantômes voyagent à travers les siècles et sillonnent le monde des morts et des vivants. Un structure narrative est posée, la bande de gamins fantômes évolue et nous fait découvrir dans ses péripéties les rouages de l’En Haut (le monde des morts). Un pur passage fantastique qui nous transporte réellement dans un autre monde !
Enfin la troisième partie qui était censée être là pour compléter le puzzle, rabibocher les morceaux de cette énigme narrative sans queue ni tête, m’a finalement laissée sur ma faim. Là où j’attendais une ultime révélation, une lumière sur toute cette affaire, j’ai lu des passages encore plus labyrinthiques qu’avant, entre poèmes, chapitres totalement illisibles et plongeons historiques hors contexte. Cette dernière partie est un exutoire suprême, Alan Moore y a craché ses tripes et sa folie, couché des phrases sans sens et des pages sans but. Le dernier chapitre n’apprend rien de nouveau, ne révèle rien, nous refait partir à la case zéro, comme un cube spatio-temporel dont notre existence dépend et autour duquel nous tournons en rond tel un cycle éternel.
Pour résumer, rien de plus frustrant. La structure narrative est très précaire car beaucoup trop fragmentée entre les sauts dans le temps, les passages historico-documentaires qui tombent de nulle part et la multitude de personnages abordés de trop loin et de trop haut. Au final, j'ai lu 1300 pages d’un monde à l’imagination débordante et au concept passionnant certes mais traduites sous une plume lourde, bien trop sauvage et complexe pour être appréhendées avec plaisir et facilité.
Ça n'en était pas moins une sacrée expérience par son originalité, ce roman est un alien et pour ça il marquera mes esprits pour un bon bout de temps.