Mozart du Gambling

A l'heure où le poker a envahi le monde, avec son armée de stars adulées, un homme, méconnu par les joueurs amateurs peu enclins à se pencher sur l'histoire du poker, mérite sans doute le titre de meilleur joueur de poker que le monde ait connu - et possiblement qu'il ne connaîtra jamais à l'avenir.
Ce n'est pourtant pas à ce jeu que Ungar excelle avant tout. Comme il le disait lui-même, car il n'était pas d'une grande humilité quand il s'agissait du jeu - mais, pardonné !, car non sans raison : "Un jour, il est possible que quelqu'un puisse me battre au hold'em no limit. C'est peu probable, mais c'est possible. Par contre je le jure, je ne vois personne qui puisse un jour être meilleur joueur de gin que moi."
Ayant passé son enfance dans un établissement de jeu, très tôt initié au calcul de cotes, il gagne son premier petit tournoi de gin rami à 10 ans. Il en deviendra le joueur ultime incontesté, battant des joueurs pro malgré son jeune âge, amassant les dollars jusqu'à ce que personne ne veuille plus l'affronter, tout simplement.
Ungar joua également au blackjack, mais sa mémoire des cartes était telle - et ses gains également donc - qu'il fût interdit de casino.
Il s'orienta vers le poker pour trouver un nouveau débouché, et là aussi il excella. On le répète souvent, il est le seul joueur à avoir gagné trois fois le Main Event - le tournoi dont le gagnant est considéré comme champion du monde - à égalité avec Johnny Moss. Mais tout respect dû à Moss, celui-ci a gagné 2 bracelets les deux premières années - or la difficulté augmenta d'année en année ne serait-ce que par le nombre de participants. La première année, d'ailleurs, le gagnant était désigné par un vote d'une poignée de joueurs (vote qu'il fallut faire deux fois, la première chacun ayant voté pour lui-même !).
La façon dont Ungar a gagné le premier Main Event est incroyable : c'était son premier tournoi et, selon Doyle Brunson qu'il battit en heads-up final, on voyait Ungar apprendre le jeu au fur et à mesure du tournoi. La façon dont il a gagné bien plus tard le troisième, en pleine déchéance, arrivé le premier jour dans un état pas si loin de la loque humaine est... stupéfiante.
Stupéfiante, c'est le mot, pour un homme au trajet proche d'une star du rock de la grande époque. Ayant des relations parfois limite avec la mafia, tour à tour riche de gain et perdant dans des partis sportifs inconsidérés, bouffé par la drogue, Stu Ungar est un homme impressionnant dans sa spécialité très... spéciale, un joueur presque parfait qui n'a chuté que par ses excès qui finirent par l'avoir à l'usure.
Un ouvrage qui se lit facilement, qui ravira l'amateur de poker, qui fait connaître un personnage pour qui j'avoue une réelle sympathie, un homme au parcours hors norme, chaotique, brillant et sombre à la fois.