La lecture du journal d'un corps c'est d'abord un régal. Car le bougre maitrise une recette romanesque bien à lui, qui fit les délices de ma jeunesse et dont je retrouve les saveurs intactes : une grande dose de poésie, des extraits d'essence d'humour, une couche généreuse d'intelligence sous un nappage d'impertinence. Mais il fallait que ce journal d'un corps mette plus que l'appétit en émoi : tous les sens ! On en voit donc de belles, on entend de drôles de choses, on se pince de quelques vacheries, on reniflerait presque, pour un peu, la page que l'on tourne, pour en garder le souvenir plus encore.
Et comme ça ne suffisait toujours pas à l'artiste, qu'il fallait qu'il nous surprît davantage, nous émeuve, nous entraine, nous bouleverse… comme il fallait qu'on le rencontrât, il parvient à nous plonger dans cette vie, par on ne sait quelle magie. Il parvient à susciter l'empathie avec ce corps de petit bonhomme, et jusque pour cette carcasse de vieillard usé. Quelle magie ? Il n'y en a qu'une qui puisse fonctionner. Elle est toute de musicalité, de rythme : d'harmonies. La seule magie qui puisse nous faire vivre de concert avec un corps étranger, chanter ses joies et ses douleurs, bat au rythme des rencontres et cogne fort à l'intérieur. C'est par là que ça passe, je vous le dis ! Ouais, c'est pas un histoire de tripe ça, monsieur ; suffit pas d'avoir de l'estomac ! Inutile de se faire des cheveux madame, de la bile ou du mauvais sang. Non pas ! C'est bien plus profond que ça, bien plus intime aussi, ô combien plus humain, au sens noble, au sens grand, au sens fort. La magie du roman de Pennac tient à cela : c'est le journal d'un coeur. C'est ce qui touche le lecteur : 3 milliards de battements qui animent le corps mais raisonnent jusque dans l'âme.
Un grand bravo pour ce merveilleux petit roman.