Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=svV56uvlgnc
Nous suivons dans ce roman un jeune prêtre, qui vient d’arriver dans un village. Prêt à venir en aide aux paroissiens, cette mission va s’avérer plus compliquée que prévu, car la religion les intéresse moins que le concret, que les questions du quotidien.
C’est donc l’histoire d’un homme qui veut vivre pour le spirituel, et qui est toujours ramené vers le bas, vers le corps. Avec déjà ses douleurs d’estomac, qui le rongent comme un rappel éternel que la vie terrestre n’est que souffrance, on sent que ça s’insinue dans sa vie comme une moisissure. Cette douleur, on a parfois l’impression qu’il aime la raviver en manger très acide, du vin, et du pain, comme par hasard. Car notre curé porte le malheur des autres, prend à son compte les fautes, les bassesses de ceux qui l’entourent, et son dépérissement physique ne peut nous empêcher de faire un parallèle avec la figure de Jésus.
« Je prétends simplement que lorsque le Seigneur tire de moi, par hasard, une parole utile aux âmes, je le sens au mal qu’elle me fait »
En voulant expier les péchés des autres, et peut-être en se rendant compte que ce n’est pas la peine car la question du péché semble dépassée dans ce village, il se tisse autour de l’estomac une couronne d’épine, qui va se serrer, se serrer, l’éloigner et l’isoler de plus en plus.
Et en plus de cette souffrance physique, il y a la souffrance spirituelle, causée par les paroissiens, qui sont des gens ancrés dans le prosaïque, dans les cancans, dans les calculs, les bassesses, dans la bêtise ou la malignité. Et c’est un chemin de croix pour notre curé, conséquence directe de deux symptômes : qui sont d’abord sa versatilité, quant à sa foi, à sa vocation aussi, où on le voit passer du désespoir le plus sombre à un enthousiasme quasi-maniaque (mystique dirons-nous). Et puis aussi une tendance à noyer son chagrin dans le vin (ses parents étaient alcooliques, et la récurrence du vin laisse entendre que cela pourrait être aussi son cas). Il s’en défendra peut-être trop fortement dans le livre pour être tout à fait honnête. En tout cas, les préoccupations prosaïques vont empiéter sur le spirituel, que ce soit la soif, la faim, l’inquiétude quant à la manière dont on le perçoit, préoccupations qu’il balayera de sa formule favorite, le n’importe qui foisonne au début du livre, pour se raréfier et réapparaitre à la fin, comme le retour du réel. Car ce n’importe, c’est l’impuissance, l’abandon.
C’est une œuvre du dialogue, car chaque rencontre, que ce soit avec Torcy l’autre curé, Delbende ou Laville les médecins, avec la comtesse ou sa fille permet d’opposer deux visions sur des sujets aussi variés que la liberté, la justice, la pauvreté, la foi, évidemment, la famille : avec souvent la vision naïve, voire enfantine du héros entachée par celle des autres, moulée par le monde réel. C’est aussi une sorte de conflit générationnel, pourrait-on dire, entre l’idéalisme d’un jeune homme et le cynisme ou la clairvoyance des autres.
— Nous sommes à la guerre, que veux-tu ? Il faut regarder l’ennemi en face », lui dit le curé de Torcy.
Et on sait que ces soldats de Dieu, ce qu’ils ont a affronter, ce n’est pas que l’incroyance des fidèles, c’est les conséquences de la grande guerre, c’est la pauvreté et la misère, c’est l’impuissance et la peur de manquer, c’est la haine entre les membres d’une même famille, c’est la concupiscence, bref, c’est l’homme tel qu’il est.
Et notre curé, parfois, dans cette lutte impossible, nous fait penser à la mort : avec le médecin Delbende, et la comtesse, avec le curé défroqué qu’il rejoint, et même le médecin Laville vers la fin, une parade macabre en accéléré, presque tous les personnages avec qui il aura argumenté vont mourir, parfois dans l’amour de dieu, comme la comtesse, ce qui souligne l’ambiguïté du texte ; dieu préfère-t-il ses fidèles morts ? La souffrance est-t-elle le seul moyen de mettre la foi à l’épreuve ? Bref, notre curé doit-il vivre comme Job, dans le dénuement et la douleur pour prouver son amour de dieu, et quel dieu met à l’épreuve ses brebis de la sorte ?
Ce qui est intéressant aussi, c’est la réflexion sur le texte même, les questionnements du prêtre sur la réception, la manière dont liront ceux qui y auront accès plus tard (ce qui semble annoncé assez tôt, comme s’il se savait déjà condamné). Ce qui nous donne l’impression que d’une part, c’est Bernanos qui parle à travers lui, mais qui renforce d’autre part la plausibilité du texte, plausibilité affermie aussi par le faux-paratexte, toutes ces petites notes qui précisent que des pages sont déchirées, ou raturées, ce qui met en exergue la crise passionnelle (dans le sens christique) du jeune curé.
Bref, un livre à lire si ces thèmes vous intéressent. Je vous remercie, et vous dis à très bientôt.