Vous n’êtes ni curé ni nonne, ni même croyant, et encore moins un ange. Vous vous dites en tous cas que vous n'entendez rien à la bigoterie et que ce bouquin n’est probablement pas pour vous... Erreur.
Le volume n’est pas bien épais et dès les premières pages le décor est planté en caméra subjective : des tableaux sacrément bien léchés d’une morne campagne française, où "tombe de ces pluies fines qu’on avale à plein poumons, qui vous descendent jusqu’au ventre".
Les pages s’enchaînent lentement, au rythme de cette paroisse qui prend vie dans sa monotonie ordinaire. Pourtant la vie lisse du jeune prêtre a tôt fait de se révéler dense et complexe, et elle vous happe en plein effort ; c’est là qu’intervient le génie de Bernanos.
Assez vite vous n’êtes plus en train de le lire ni de violer la pieuse intimité de son personnage, si grave dans sa naïveté, démêlant ses convictions de sa condition. Non, c’est le curé qui vous voit de l’intérieur, embrasse le monde et vous avec. La position intenable de l’homme face à sa conscience, l’éphémère de l’existence, sa beauté effrayante, sa cruauté confortable, sa solitude... Tous ces crépitements sourds et muets de l’âme prennent forme en peu de mots.
Ce n’est pas un hasard s’ils sortent de la bouche d’un curé. Définitivement incapable d’envisager l’absence de foi, l’athéisme n’est pour lui qu’errements de l’âme dans quelque recoin sombre sous l’emprise du mal, qu’il jauge avec une pitié sincère. L’athée la trouvera révoltante et le nihiliste risible mais le lecteur doit se parer de cette même condescendance. Ça lui chatouille l'orgueil bien sûr, mais la méfiance cède vite devant la simplicité désarmante de Monsieur le curé. Il faut surtout se laisser faire, car on ne s'y paume pas, on s'y trouve, et c’est bien là le seul tour de séduction de Bernanos.