Un livre pas comme un autre.
Lire les Journaux indiens de Ginsberg c'est lire un livre, pas comme les autres. Sans doute parce que ces journaux n'étaient pas destinés à la publication, ce qui change un certain nombre de points de vue du lecteur.
D'abord d'un point de vue stylistique : Ginsberg utilise un style minimaliste, sur le ton de l'énumération et de la concision, ce qui provoque un sentiment d'insécurité littéraire puisque cette écriture, propre à l'exercice du journal, est réalisée sur le vif et non dans un souci harmonique (mais vive la dysharmonie !). On se sent vite perdu dans cette profusion de & qui remplace les virgules et les « et », de bouts de phrases parfois interrompues et de réflexions intérieurs propres à un poète.
En effet, en deuxième point, nous avons affaire à un carnet de réflexions sur le travail et la place de la poésie dans la société. Nous entrons ainsi dans l'atelier de création du poète et la place de la poésie dans la société. Ce qui influe directement sur le style de ces journaux puisque l'auteur utilise ceux-ci comme un carnet de croquis, un lieu d'expérimentation de la langue et de l'imaginaire. Le lecteur est en prise direct avec le travail du poète sans le filet de sécurité que peut représenter l'officialisation d'une œuvre publique.
Enfin, nous avons affaire à une expérience humaine, représentant le cheminement même d'une génération nouvelle dans les années 60 : celle du « voyage en Inde ». Ginsberg en précurseur de cette génération décrit à la fois le décalage entre les deux cultures, américaine et indienne, ainsi que la fascination qu'exercent l'Inde et ses rituels sur Ginsberg et Orlovsky (son ami qui fait le voyage avec lui). On peut d'ailleurs leur fascination morbide face aux crémations des corps sur les ghats (Quai du Gange). C'est à un voyage en complet décalage autant sur la forme que sur le fond que nous convie Ginsberg. Cette mise en abîme du voyage et de la lecture pertube le lecteur mais lui permet d'être au plus près de l'expérimentation d'un poète voyageur.