En guise d'introduction, un petit coup de gueule de l'auteur de ce papier trop humble pour être appelé "critique" :
"Les clowns vous ont toujours fait un peu peur ?
L'atmosphère des fêtes foraines vous angoisse ?
Alors, un petit conseil : ne vous aventurez pas sur une grande roue un soir d'orage..."
Quel est le bougre d'imbécile qui a écrit ce texte en 4ème de couverture du livre Joyland, éditions Albin Michel ? Quel est le triple idiot, doublé d'un âne bâté, qui a osé torcher ces trois phrases passe-partout et quel est le crétin des Alpes qui a trouvé que c'était une bonne idée de les mettre là ?
Il y a trois possibilités. Soit vous n'avez pas lu une seule ligne de ce roman. Allez, comment osez-vous tenter d'en parler, espèce de BHL entarté ?
Soit vous l'avez lu et ne l'avez pas compris. Ce serait le seul cas excusable ; comme le disait tonton Georges : "le temps ne fait rien à l'affaire..."
Soit vous l'avez lu, l'avez compris et avez décidé, sciemment, de mettre ça pour tromper le monde et attirer le chaland. Et là, je n'aurais pas d'insultes assez fortes pour vous qualifier, espèce de Luc Besson de l'édition !
Car cette accroche tape-à-l’œil correspond au roman Joyland comme une photo de Kate Moss servirait à illustrer un livre de gastronomie du Sud-Ouest.
Après ça, il ne faut pas s'étonner de lire, ici ou là (mais surtout ici, il faut bien se l'avouer) des critiques négatives, sur le thème "on m'avait promis un livre d'angoisse et je me suis emmerdé sévère".
Plus largement, il serait temps d'en finir, définitivement, avec l'image de "Stephen King maître de l'horreur". Le dernier véritable roman d'horreur de King, ça devait être... La Part des ténèbres ? Il y a bientôt 25 ans...
Pour ceux qui n'auraient pas encore compris, King n'écrit pas d'horreur. Il emploie le surnaturel et l'angoisse pour pouvoir mettre à nu la psychologie de ses personnages et dénoncer une certaine American Way of Life. D'ailleurs Joyland n'y échappe pas, avec son personnage (absent, mais on en parle pas mal quand même) de prédicateur ultra-chrétien-fanatique-des-armes. Le fantastique est un moyen, pas une fin.
Pour s'en assurer, il n'est qu'à regarder la part que prend le surnaturel dans Joyland. Sur les 320 pages du livre (ce qui en fait une nouvelle, selon les critères kingiens), s'il y a trois pages cumulées de fantastique, c'est bien le sommet.
Alors, quoi ?
Joyland se déroule en Caroline du Nord en 1973. Le narrateur s'appelle Devin Jones, dit Dev', dit Jonesy, dit Le Gamin. Étudiant cherchant un job d'été, il se fait embaucher à Joyland, un petit parc d'attractions local et familial.
Joyland (le roman) joue beaucoup sur cet aspect familial. Dev' se reconstitue une famille en arrivant en caroline du Nord. Une famille à Joyland, une famille dans la maison d'hôte qui l'accueille, une famille avec les Ross...
Loin des gros effets que l'on peut rencontrer parfois chez l'auteur, ici, c'est la simplicité qui prime. Simplicité des moyens : quelques personnages et quelques attractions. Simplicité de l'histoire. Simplicité des sentiments : amour, amitié, déprime. Cette simplicité tendre, reposante, un brin nostalgique aussi.
Car, bien sûr, ce portrait de 1973 est rempli de nostalgie. Les Doors, les Floyd, Nixon, une certaine insouciance qui faisait que l'on pouvait fumer partout mais qu'il n'était pas encore obligatoire d'attacher sa ceinture, comme le refus de prendre en compte l'existence de dangers.
Et puis, le spectacle. "A Joyland, on vend du bonheur" ! A travers un hommage respectueux au monde des forains, on sent que King prêche un peu pour sa paroisse : le divertissement. Qu'ils sont heureux ceux qui, par leurs efforts, apportent un peu de bonheur aux personnes autour d'eux et leur font oublier leurs difficultés, même pour un temps seulement.
C'est ça, Joyland.
C'est 324 pages dont il est impossible de sortir, même s'il ne se déroule pas grand chose, en fin de compte.
C'est le plaisir d'un roman simple dont l'objectif est de divertir.
C'est le talent d'un conteur hors pair que l'on a envie de suivre n'importe où, quel que soit l'endroit où il veut nous emmener.