Après avoir exploré les maux des jeunes de la Génération X et des employés de Microserfs, l'auteur canadien Douglas Coupland remet le couvert : les geeks vont déguster.
Le pitch : Ethan travaille dans un studio de jeux vidéos de Vancouver Ouest, au sein d'un open space du nom de jPod. Jusque-là rien de bien romanesque, d'autant plus qu'une fois muté dans cette partie de l'entreprise, tout espoir de réussite professionnelle et sociale semble compromis. C'était sans compter sur les personnalités carencées des six personnages peuplant jPod et leurs passe-temps puérils, symptomatiques d'un ennui profond : débats sur la vie sexuelle de Ronald McDonald, concours de celui qui connaît le plus de décimales après la virgule du nombre Pi...
Les nerds de Microserfs, roman de Coupland sorti en 1995 et décrivant la vie d'employés dans une entreprise similaire à Microsoft, sont entrés dans l'ère Google-Ebay et sont obsédés par l'informatique, le sexe et la bouffe. L'occasion de nous servir quelques tranches de dialogues aussi surréalistes que savoureuses entre collègues, ici à propos de Kaitlin, nouvelle recrue de jPod :
« J'ai googlé Kaitlin et tu serais surpris d'apprendre ce que j'ai trouvé.
- Tu l'as googlé ?
-Evidemment. Pas toi ? »
J'avais pour je ne sais quelle raison oublié d'effectuer cette tâche essentielle.
La vie des six personnages de jPod bascule le jour où le responsable marketing, Steve, décide d'introduire un personnage de tortue dans BoardX, le jeu de skateboard qu'ils sont en train de développer, et les plonge dans un profond désarroi. Cela pourrait paraître tout à fait mineur par rapport à ce qui arrive dans la vie personnelle d'Ethan : sa mère cultive de la majiruana dans sa cave et vient d'assassiner un homme (par accident tout de même), son père est un acteur raté dont la première réplique n'est encore jamais apparue sur un écran, son frère réquisitionne son appartement pour héberger des clandestins chinois. Pas pour Ethan, qui de toute façon est dans l'ensemble plutôt spectateur de sa vie.
Les péripéties s'enchaînent dans cet univers amoral et truffé de marques et slogans symptomatiques de notre époque, de la bibliothèque Billy d'Ikéa aux Cheerios. Le lieu de l'action devient insignifiant, tant la mondialisation a transformé ces marques en repères pour tout citoyen du village mondial. À la manière de coupures publicitaires, jPod est truffé de pages inutiles décrivant les ingrédients d'un paquet de tacos ou de nouilles chinoises, des défis lancés dans l'open space (« Je vous distribue une liste de 8363 nombres premiers compris entre 10 000 et 100 000, trouvez l'intrus ») et des monologues inquiétants qui pourraient être ceux d'un Patrick Bateman 2.0.
Dans ce contexte, jPod est assez épuisant à lire, par son côté très dense, presque épileptique, et une heure de lecture vous laisse l'impression d'avoir passé la journée à regarder des vidéos sur YouTube. Tout pue l'artificiel, et on cherche en vain des sentiments simples auxquels se raccrocher, comme de la compassion lorsque Ethan, à l'issue d'un enchaînement de quiproquos, atterrit en Chine, lieu de fabrication de la plupart des objets de son quotidien. On se dit que, peut-être, il va s'indigner des conditions de travail quand il arrive dans une usine de contrefaçon de chaussures Nike.
Mais non, la morale ne sera pas sauve. Seulement l'opportunisme. Même si Coupland en fait parfois un peu trop en nous bombardant de références pas forcément évidentes, son brio réside dans le fait que ses mises à distance (difficile de s'identifier totalement à des personnages aussi déjantés), mettent finalement en relief le vide et la paranoïa qui habitent nos sociétés. Heureusement, le tout reste très ludique et résolument comique, et on suit les péripéties d'Ethan comme une bonne série en streaming.
Mise en garde : jPod est sorti en 2006 outre-Atlantique, avant sa sortie récente Au Diable Vauvert. jPod est à consommer avant : voir dessus du paquet.