Jude l'obscur par BibliOrnitho
Le sud-ouest de l’Angleterre. A la fin du XIXe siècle. Jude est âgé de onze ans lorsqu’il assiste au départ de Richard Phillotson, le maître d’école qui part vivre à Christminster, ville savante distante d’environ vingt miles, où il espère amorcer un tournant dans sa carrière, intégrer une université et entrer en religion. Jude vit ce départ comme une grande perte. Il aimait son professeur qu’il voyait davantage comme un ami. Il aimait apprendre. Orphelin, il est élevé par Drusila sa grand-tante qui tient la boulangerie du hameau de Marygreen. Drusila est sévère, et si elle ne lui témoigne pas un amour immodéré, elle s’acquitte néanmoins de sa tache avec sérieux et responsabilité.
Jude décide de suivre un jour les traces de son mentor : comme lui, il se rendra à Christminster pour étudier. Il se verrait bien évêque. Ou plus simplement archidiacre, car il a conscience que briguer l’évêché est peut-être un tantinet ambitieux. Afin de se préparer, il parvient à se procurer quelques livres poussiéreux et apprend seul le latin et le grec tout en parcourant les chemins avec sa carriole, livrant le pain. Parce qu’il veut entrer à Christminster la tête haute et avec quelque argent en poche, il décide d’apprendre un métier qui pourra le nourrir jusqu’à son entrée au collège. Il entre donc en apprentissage chez un tailleur de pierre à Alfredstone. Une fin de semaine, alors qu’il regagne la masure de sa grand-tante, Jude fait une rencontre qui va bouleverser sa vie : Arabella. Ses hormones prennent désormais le contrôle de sa destinée : le jeune homme, alors âgé de 19 ans oublie ses livres et ses rêves de vie meilleure pour s’étourdir d’effluves féminines. Les jeunes gens batifolèrent tout l’été : lui, en toute insouciance, elle, calculant la meilleure manière de se faire conduire devant l’autel.
Jude, en homme d’honneur, fut pris au piège. Il consent à épouser son flirt estival. Mais le mariage ne débute pas sous les meilleurs auspices : Jude, toujours en apprentissage est sans le sou et seule l’urgence de la situation supposée l’a conduit à ce mariage précipité. L’ambiance frivole qui régnait entre les amoureux disparut tout à fait quand madame avoua qu’elle s’était finalement trompée sur son état et que monsieur eût la certitude d’avoir été dupé. Rapports désormais tendus, et atmosphère délétère. Arabella finit par quitter le domicile conjugal pour suivre ses parents émigrant en Australie. Jude se console vite, reprend ses manuels et regarde à nouveau en direction de Christminster où il décide de se rendre sitôt son apprentissage achevé.
Mais la ville savante ne tient pas ses promesses. Arrivé la fleur au fusil, Jude trouve les portes des collèges hermétiquement closes. Ses origines plébéiennes ne lui permettent pas de réaliser son rêve : les bancs universitaires ne sont lustrés que par de riches uniformes. Sa profonde déconvenue est contrebalancée par Sue, sa cousine dont il fait la connaissance. Il tombe rapidement sous le charme de la jeune fille. Mais un mariage semble inconcevable : Jude est déjà marié, Sue est d’un degré de parenté bien trop proche pour qu’une union soit bien vue et les deux jeunes gens appartiennent à deux branches familiales qui ne s’apprécient guère.
Son arrivée en ville est aussi pour Jude l’occasion de retrouver Phillotson qui a échoué lui aussi et qu’il présente à Sue. Bien que nettement plus âgé, le maître tombe à son tour amoureux. La jeune fille, ignorante de la vie promet à ce dernier de l’épouser. Jude est atterré mais la relation entre les deux cousins évolue si bien que Jude se mord les doigts de ne pouvoir couper l’herbe sous le pied de Phillotson. Sue honore donc sa promesse. Mais malheureuse, elle quitte son mari pour rejoindre son cousin. L’institution sacrée du mariage est alors mise à mal. Les cousins vont la remettre en cause et décider de vivre librement. Le Religion est également critiquée ouvertement par le couple.
Mais Dieu semble se venger et fauche d’un coup leurs enfants. S’en suit un carnage sans nom : Sue tombe à genoux et se repend de son impiété. D’agnostique, elle devient dévote, quitte Jude et retourne vivre auprès de Phillotson, « son mari devant Dieu ». Jude se fait piéger une seconde fois par Arabella et sombre dans le désespoir et la maladie. Tout est rentré dans l’ordre, les deux couples légitimes se sont finalement reformés. La morale est sauve !
Un texte qui fleure bon l’Angleterre victorienne : riche, austère, très narratif. Comparable à ceux de George Eliot ou de Dickens. Thomas Hardy campe des personnages du commun (que Jude appelle les « obscurs » car ils se montrent incapables de se faire une place à la lumière et que leur destinée est insignifiante), en avance sur leur temps. Des précurseurs, incompris de leurs contemporains et marginalisés par une opinion obtuse, profondément conservatrice, et étroitement contrôlée par l’Eglise omnipotente.
Avec ce livre qui fit scandale, l’auteur envoie un magistral coup de pied dans ce panier de crabes. Jude l’obscur est un roman d’une incroyable modernité, presque incongru en cette fin de XIXe siècle qui vit sa publication. La réaction des religieux fut violente et je n’ai pas été surpris en lisant que l'évêque d'Exeter fit publiquement brûler le livre et qu’à la suite de cet épisode, Thomas Hardy abandonna le roman pour la poésie.
Un livre coup de poing dont je ne comprends cependant pas la fin. Le revirement de Sue, sa folie à la suite de la mort de ses enfants reste pour moi incompréhensible. Je m’attendais plutôt à la voir se radicaliser encore davantage. Pourquoi un tel virage en fin de livre ? Comme si l’auteur cherchait à s’amender des blasphèmes proférés. Une déconvenue qui tempère un peu l’enthousiasme qui m’a porté durant les quatre premiers cinquièmes du livre.