Juillet de sang par leleul
Abattre un homme en pleine nuit dans sa maison – même en état de légitime défense – est une expérience qui a de quoi secouer franchement n'importe quel père de famille débonnaire.
Richard Dane est un bon père – enfin il le souhaite –, un mari aimant – sa femme en tout cas ne s'en plaint pas – et il a vraiment le profil du brave citoyen lambda. La secousse qui ébranle sa paisible existence, a donc de quoi le marquer profondément. Mais rien que le temps ne puisse estomper peu à peu. On s'habitue à tout, aux mauvaises habitudes comme aux souvenirs traumatisants. Et puis, on oublie.
Sauf que dans le cas présent, la victime de Dane a un père. Un truand notoire qui vient justement de sortir de prison avec la ferme résolution de renouer avec son fils...
Cet argument de départ – somme toute classique – s'avère assez rapidement une fausse piste. On croit lire une énième variation sur le thème de la vengeance rythmée à la manière d'un thriller et, c'est en fin de compte une autre histoire qui se dévoile. Par sa thématique, on peut rapprocher « Juillet de sang » de « Les marécages », même si le réalisme cru remplace la tonalité légèrement fantastique et empreinte d'une forte dose de nostalgie du petit chef-d'œuvre de Lansdale.
Pour commencer, c'est le sujet des rapports père/fils qui constitue les œuvres vives de « Juillet de sang ». Le découpage en trois parties [Les fils – Les pères – Pères et fils] est sur ce point transparent. La grande question Qu'est-ce qu'être un bon père ? , déjà présente dans « Les marécages », se pose peut-être même avec davantage d'acuité. Ici, la perspective de la narration est inversée puisque ce sont les pères qui agissent et c'est de leur point de vue que cette question se pose. L'image du couple idéal est à nouveau mise en scène par l'intermédiaire de Dane et de son épouse Ann. Cette redite – on trouve le même couple idéal dans « Les marécages » - démontre qu'aux yeux de Lansdale, l'image paternelle n'est que la composante d'un ensemble dont l'équilibre fragile dépasse le simple résultat de la somme des parties. Au passage, signalons aussi le superbe portrait de mère et de femme que nous dresse l'auteur.
La violence est le second grand thème abordé dans ce roman. De la même façon, elle était déjà très présente dans « Les marécages ». Dans ce roman antérieur, cette violence était subie par les enfants, les femmes et la population noire. Ici les personnages passent de la position de victime à celle d'acteur. C'est une violence brute qui explose au cours de courtes séquences visuellement très marquantes mais dépourvues de toute esthétisation. C'est une violence qui s'impose dans toute sa crudité ; une violence qui se répand en humeurs corporelles sur les murs, le sol et le mobilier. C'est une violence enfin, qui fascine et bouscule les repères, notamment ceux de Richard Dane, car comme l'annonce en ouverture du roman la citation de Nietzsche : « Celui qui affronte les monstres devra veiller à ce que, ce faisant, il ne devienne pas lui-même un monstre. »