Sur le tombeau de la vertu, j'écris ton nom
Lire Sade n'est pas une expérience comme les autres. On ne peut pas imaginer ce qu'écrit Sade, tant ça déborde de monstruosité dans les scènes les plus violentes. Mais l'on est emporté par ce torrent de vice, qui nous charrie, nous plutôt que l'innocente Justine dont l'absence totale de personnalité ne sert qu'à impliquer d'avantage le lecteur, à travers la France de l'Ancien Régime.
Et il faut admettre que Sade est fort pour faire naître les sentiments républicains. Comment ne pas être outré par ces scènes carcérales, toujours plus oppressantes, décrites par un homme qui a vécu toute sa vie l'enfer des prisons? Comment ne pas à chaque fois se raccrocher au mince espoir que l'homme que suit Justine est enfin l'innocent qui la sortira de ses tourments? Et comment ne pas déchanter à chaque fois, ou finalement se résoudre à accepter que la vertu est incompatible avec notre monde.
Cruelle démonstration que celle-ci, reprise par les théories de Nietzsche plus tard: la morale n'existe pas, il faut s'en affranchir pour devenir puissant. Mais le lecteur innocent espère, il ne comprend pas cette réalité, c'est trop dur de s'imaginer un monde sans aucune morale. Il faut bien Sade pour comprendre cette réalité, pour apprendre, au fil de l'initiation de Justine, que la vertu est une construction artificielle.
Qu'un monde juste n'est pas forcément un monde vertueux, mais un monde où la vertu n'existe plus et donc, où tout le monde pourrait jouir comme il l'entend. Où tout le monde serait libre et égal dans le désir.
Cependant, si ce livre est probablement la meilleure explication de la vacuité de la vertu, par sa longueur éprouvante et son aspect initiatique, je lui préfère tout de même La Philosophie dans le boudoir, qui est quand même bien plus plaisant et qui résume de manière bien plus efficace, dans une langue ravissante, les idées de Sade.