Voici un roman qui nous arrive tout droit d'Argentine. Le texte n'est pas tout jeune puisqu'il est paru initialement en 1983, juste à la sortie des années de dictature argentine. Il s'agit là de sa première traduction en français. En Argentine, il est sorti sous la forme de deux ouvrages, regroupé pour l'édition française.
Kalpa imperial nous relate, par le biais de différents récits qui nous sont rapportés par un ou des conteurs (l'ambiguïté sur le(s) narrateur(s) ne sera jamais levée) des moments tirées de l'Histoire de l'Empire. Mais de quel Empire parle-t-on me direz-vous ?
Et bien on ne sait pas. Peut-être même ces récits se déroulent-ils sur une autre planète que notre bonne vieille Terre ? Et ben peut-être, mais on n'en saura rien, et j'irai jusqu'à dire que ce n'est pas important. Cet Empire mythique dont il va être question ici est avant tout allégorique. Il a pour seule fonction de servir de toile de fond à des historiettes plus ou moins longues mettant en scène différents empereurs ou impératrices sous la forme de fables plus ou moins morales.
Il va beaucoup être questions au fil de ces lignes de la gouvernance du pays, de ce qui fait un bon dirigeant ou un mauvais, de la relativité certaine de ces deux notions quand on en vient à juger la valeur d'un homme ou d'une femme politique, de la vacuité des choses, de la sagesse qui vient ou pas avec le temps, de la domination des uns sur les autres, etc...
On le voit, cet ouvrage brasse énormément de thématiques (j'en ai oublié plein). Mais du coup, est-ce que ça marche ? Et bien oui. Cet Empire dont on nous narre littéralement des pans entiers de son histoire, on y croit. On sourit à certaines évocations, car le roman ne manque pas d'ironie, on accepte d'être baladé d'époque en époque, sans savoir si on suit vraiment une chronologie ou si chaque texte se suffit à lui-même (en vrai, je penche clairement pour cette dernière solution), on s'indigne ou on se passionne pour tel ou tel événements..
Chaque texte est un plaisir, mélange de conte philosophique et de récit d'aventure. Le tout dernier chapitre "La vieille route de l'encens" m'a tout particulièrement plu. À travers ces historiettes, et ce malgré son grand âge, ce roman parle de nos sociétés modernes, de notre monde même s'il n'est pas nommé.
Comme tous les contes philosophiques, ce qui fait sa force, c'est son universalité, son caractère intemporel. L'intelligence d'Angelica Gorodischer, c'est bien d'avoir situé ses récits dans un espace neutre, hors du temps, hors du monde. C'est ce qui en fait un texte qui, finalement, n'a pas vieilli.