L'actualité est infidèle. Elle passe d'un malheur à l'autre, sans s'attarder outre mesure. Après le tremblement de terre, Haïti n'a plus fait la une. Que raconter ? La misère, la corruption, un quotidien tragique qui n'intéresse plus les médias. Restent les écrivains, des témoins qui ne se résignent pas à l'indifférence et qui, en cette île qui semble maudite des dieux, essaient avec des mots de dire la souffrance d'un peuple alors que l'espoir prend des allures de grand cimetière sous la lune. Lafferière, Lahens, Trouillot : la tradition romanesque haïtienne perdure et ne renonce pas. Kannjawou, de Lyonel Trouillot, nous conte la vie des habitants de la Rue de l'Enterrement, la bien nommée où l'on a du mal à distinguer les morts des vivants, loin des blindés des forces "d'occupation" (Américaines et européennes) et des 4X4 rutilantes des humanitaires. Haïti, un pays auquel on dénie le droit de s'administrer lui-même, comme un enfant qui a besoin qu'on le guide dans ses ténèbres. Funeste destin que Trouillot, dans sa langue chamarrée et poétique, transfigure en chronique parfois cocasse, le plus souvent dramatique. Un récit où un narrateur amoureux des livres voit se dissoudre la complicité d'une "bande des cinq" qui a n'a plus l'énergie de faire les 400 coups tant l'impuissance est grande. Kannjawou est un plaidoyer contre l'oppression des bien pensants, des opulents et des puissants, une élégie pour un peuple asservi auquel même la liberté de se révolter semble interdite. Terrible !