A travers ce grand roman d'aventures, Rudyard Kipling nous dévoile l'Inde britannique tout entière. Couleurs, odeurs, rumeurs... tous nos sens sont en éveil ; paysages, personnages et usages... tous nos repères sont brouillés ; rien n'est dissimulé, des multiples croyances et traditions indiennes, à ceux qui emboîtent le pas à Kim, ce "faux indigène", orphelin, fils de colons irlandais, poussé comme une mauvaise herbe dans les rues sales et encombrées de Lahore et qui voit son existence complètement bouleversée à l'aube de son adolescence.
"Je suis Kim. Je suis Kim. Et qu'est-ce que Kim ?"
Kim est avant tout un sahib, c'est à dire un fils de Blanc, et de ce fait, même si son père est mort, pour la communauté anglaise (et maçonnique) des Indes, il ne peut vivre à sa façon, comme un de la plus basse caste, sans loi ni foi, sans instruction. Il doit impérativement entrer dans une école et apprendre un métier qui lui permette de rendre service à l'Etat en temps voulu, histoire de lui renvoyer l'ascenseur... Kim, lui, n'aime rien tant que sa liberté et "tracer la route" en vagabond. Méconnaissable sous ses loques de mendiant, il part à la recherche d'une rivière sacrée en compagnie d'un vieux lama tibétain (le moine, pas l'animal, hein !) et devient son chela (serviteur-disciple). Une amitié hors norme se lie jour après jour, épreuve après épreuve, entre l'adolescent et le vieillard... Là seulement commence l'aventure.
La complexité de ce roman vient de ce qu'il ne se contente pas de narrer le parcours initiatique d'un enfant puis d'un jeune homme dans un pays colonisé, en tous points différent de la lointaine Angleterre. Au-delà du romanesque, c'est une approche ésotérique et ethnologique qui tend à mettre en avant le rôle fondamental joué par la loge maçonnique dans la construction et la structuration des Indes britanniques. Le "Grand Jeu" - auquel Kim en tant que fils de franc-maçon est destiné à prendre part dès son éducation prise en main - teinte tout le récit des couleurs de l'action, de l'espionnage et de l'aventure. Pour Kipling qui connaît son sujet et son pays sur le bout des doigts, la narration est donc intuitive, elle coule de source ; pour l'humble lectrice du XXIème siècle que je suis, elle s'avère bien plus ardue.
Je ne dirai pas ne pas avoir apprécié ce roman mais je ne prétendrai pas non plus qu'il m'a emportée. J'ai aimé le dépaysement qu'il m'a offert et les connaissances variées sur l'Inde qu'il a mises à ma portée, cependant son style très particulier et son rythme assez saccadé ont quelque peu malmené mon intérêt qui parfois est allé croissant et à d'autres (longs) moments a décliné vertigineusement.
Heureusement, la dernière partie de l'oeuvre qui se passe quasiment exclusivement dans les hautes montagnes de la chaîne Himalaya m'a ravie et j'ai vraiment senti que cette apogée s'était laissée mériter et conquérir, comme lorsqu'on souffre dans l'ascension d'un sommet.
Une lecture marquante donc, mais moins accessible qu'il n'y paraît.