"Dans nos ténèbres, il n'y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la beauté."
L'histoire pourrait être rebutante au premier abord. Une femme qui va donner naissance à son enfant dans un camp de concentration pendant la Seconde Guerre Mondiale, combien de fois ai-je entendu, en tant que libraire, "Ah non, pas ça, c'est trop glauque/triste/affreux." ? Faites votre choix. On sait qu'on ne va pas rigoler toutes les deux lignes, c'est clair. Quant à moi, ce n'est pas du tout le genre d'histoires que j'aime. Et pourtant, mes collègues m'ont dit que c'était génial, qu'il fallait absolument que j'y jette un coup d'oeil, je me suis finalement laissée tenter.
Ce qui frappe d'abord, c'est l'écriture. On retrouve en plusieurs endroits des répétitions, qui courent sur plusieurs lignes, et qui martèlent l'histoire comme un glas. C'est d'autant plus étrange dans cette narration qui se fait au présent, plongeant le lecteur directement et sans concession dans cet univers cruel et horrifiant, où les SS préfèrent nourrir une portée de chatons plutôt que des bébés qui meurent de faim. Ne vous méprenez pas, j'adore les chatons, et c'est la fille qui ne veut jamais avoir d'enfant qui vous dit ça, mais j'avais rarement ressenti une telle colère, une telle indignation en lisant simplement un livre. C'est peut-être le fait que cette histoire soit placée dans un contexte historique, le fait que l'on se dise "ça avait surement lieu comme ça", qui fait cet effet. Il n'y a que la vérité qui blesse comme on dit, et la vérité des camps dépasse de loin l'imagination la plus terrifiante.
Mais malgré l'horreur décrite avec précision, la douleur que l'on ressent à lire ces lignes, on ne tombe jamais dans le pathos. Ah ! ce bon vieux pathos qui envahit les romans contemporains pour faire pleurer les ménagères dans les chaumières ! Merci à l'auteur, nous en sommes ici exemptés. Kinderzimmer n'avait pas besoin de ce pathos, tout simplement parce que l'héroïne ne veut pas qu'on la prenne en pitié. Elle raconte son histoire, mais ne demande pas de jugement à la fin. Je pense que c'est en partie ce qui fait la qualité de ce roman : on évite les facilités, et on reste dans une certaine forme de pureté de l'écriture, sans chichis ; ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de sentiments dans ce roman, bien au contraire, on ressent d'autant plus que l'on est pas flouté par de fausses émotions, provoquées par la volonté pure et simple de faire pleurer.
Cela me fait penser au film La Rafle, dont la réalisatrice a clairement dit que celui qui ne pleurait pas devant son film était un monstre, ou quelque chose dans ce (mauvais) goût là. Valentine Goby, au contraire, ne cherche pas à faire pleurer à tout prix son lecteur. D'ailleurs, moi qui ai la larme facile, je n'en ai pas versé une seule. Mais à la fin du roman, j'étais complètement sonnée par tout ce que j'avais vu défiler devant mes yeux en le lisant. L'écriture est aussi brillante que les évènements dans lesquels elle trouve son fond sont terribles.
Kinderzimmer est un des trois romans encore en compétition pour le prix des libraires... je croise les doigts !
En titre : Feuillet d'Hypnos n°237, René Char.