Knock out, le serment d'Hippocrate. Vive le serment d'hypocrite !
« Les gens bien portants sont des malades qui s'ignorent ». Voilà une maxime tirée de la pièce qui résume bien la philosophie de Knock, ce faux médecin qui s'installe dans un village de campagne pour prendre la suite d'un collègue. Il va « révolutionner » la pratique de la médecine dans le village en faisant avant tout de ce métier une activité lucrative. Oublié le serment d'Hippocrate, Knock s'appuie sur des personnages importants de la commune, dont l'instituteur et le pharmacien, pour mettre en place son projet et engranger le maximum d'argent. C'est avant tout un homme d'affaire, un commercial : ses malades ne sont pas des patients mais des clients ; il tisse son réseau, met en place des consultations gratuites pour attirer le chaland et le manipuler.
Car les habitants du village, qu'ils soient riches ou pauvres, sont présentés ici comme des imbéciles. Knock les flatte dans un premier temps puis instille chez eux la peur de la maladie et donc la maladie dans leur esprit, les rendant alors favorables à n'importe quel traitement. Il parvient ainsi de façon très habile à rendre chacun hypocondriaque pour en tirer ensuite de gros bénéfices ! Cela me fait un peu penser aux sociétés actuelles où on utilise la peur pour manipuler les foules, faire passer des lois discutables ou obtenir des comportements particuliers.
Ici, Knock en bon manipulateur joue donc sur la peur de la maladie et sur l'ignorance crasse des habitants pour les plumer. Il va même jusqu'à se renseigner sur leurs niveaux de fortune pour adapter le nombre de ses visites à leurs possibilités...
La critique de Jules Romains, quoiqu'évidemment poussée à des extrémités, semble assez juste et toujours d'actualité, certains médecins enchaînant les consultations sans prendre le temps, d'autres (notamment ceux à honoraires libres) imposant parfois des tarifs exorbitants, profitant de la pénurie dans les grandes villes.
La description des techniques de manipulation utilisées par Knock auraient toutefois mérité davantage de précision, le propos étant souvent trop caricatural : en quelques minutes et sans grande difficulté, le charlatan parvient à convaincre ses interlocuteurs, à leur faire croire qu'ils pourraient être malades, et personne ne résiste un tant soit peu à son pouvoir de conviction, tout le monde y adhère, quelles que soient la classe sociale ou l'éducation.
Au final, les premières pages sont assez ennuyeuses mais les dialogues deviennent assez vite intéressants, et la pièce se lit vite et sans difficulté, sans que ce soit extraordinaire. La fin, surtout, est décevante, car la pièce tombe un peu à plat, on ne sait pas comment tout cela se termine, où en est Knock quelques années plus tard : a-t-il été démasqué ? On ressort ainsi de la lecture de cette pièce un peu déçu, on a un peu l'impression que Jules Romains s'est arrêté au milieu du gué. Il est vrai que la fin de cette histoire, quelle que soit son issue, ne pouvait qu'être décevante, mais tout de même !
A la décharge de Jules Romains, ce texte est fait avant tout pour être joué devant des spectateurs, je suis persuadé que la pièce passe beaucoup mieux au théâtre qu'avec une lecture froide.