Il y a - même ceux qui n'ont pas lu le livre le savent - à la source de "l'Adversaire" d'Emmanuel Carrère, l'un des "faits divers" (terme erroné en l'occurrence) les plus terribles et vertigineux qui soient : "l'affaire Jean-Claude Romand". Ayant été à l'époque et à ma manière sans doute autant frappé que Carrère - et que des milliers d'autres individus - par cette énigme à proprement parlé inconcevable, j'ai longtemps refusé de lire ce livre, et aussi de voir les deux films tirés de cette même affaire. Ayant admiré le travail subtil de Carrère dans "la Classe de Neige", je me suis enfin plongé dans "l'Adversaire", et j'ai commencé ce livre incandescent les larmes aux yeux pour le finir la rage et la frustration au cœur. Il y a fort à parier que c'est ainsi que Carrère l'a écrit, d'ailleurs, car au final, une fois qu'on a fait le deuil cruel de tout ce qu'on peut aimer (enfants, femme, amis), et même de toute humanité - Romand ayant clairement renoncé à la moindre parcelle d'humanité, dévoré par le néant absolu de ses mensonges absurdes, on découvre qu'il n'y a forcément plus rien à comprendre, plus rien à pardonner ni à condamner. Les dernières pages ne servent alors qu'à reconstruire une nouvelle illusion sur le champ de ruines qu'est la réalité : celle de Dieu, de la foi, du pardon, de l'amour. On sent que Carrère n'y croit pas plus que nous, qu'il en est même vaguement dégoûté, mais qu'il n'a plus la force de balayer tout cela de mots forcément partisans. C'est dommage - à défaut de comprendre, on aurait bien aimé de la révolte, pour purger toute cette horreur ! - mais d'une logique imparable. Le dernier mot se doit de revenir aux menteurs. [Critique écrite en 2009]