Puisqu'il est de bon ton aujourd'hui de faire l'éloge aux côtés des élogieux, de se ranger dans le camp des flagorneurs par lâcheté moutonniste, prenons justement le contrepied pour clamer haut et fort qu'un livre est mauvais. Au risque évidemment de se mettre à dos tout un lectorat religieusement acquis à la cause de son auteur avant même la sortie de l'ouvrage, prompt à accuser de pédanterie déplacée et de mépris de la littérature populaire quiconque ose sortir du rang des admirateurs zélés. Mais que l'envie, louable, de publier un 'page tuner' ne soit pas l'occasion pour l'auteur de prendre son lecteur pour un gland.


Car il s'agit bien de cela dans ce nouveau Dicker, supposée suite du succès la Vérité sur l'Affaire Harry Quebert. Décortiquons pour mieux le comprendre la recette de ce succès facile. En guise d'ingrédients, une écriture pauvre, une syntaxe sinistre, des phrases souvent bateaux, bref rien ne retient l'attention: on engloutit tout cela sans mâcher. Le tout accompagné de dictons qui sonnent slogans et d'une morale sucrailleuse qui nous arrose de 'deviens qui tu es' et 'sois toi-même' indigents.

Pour faire avancer comme il le peut son enquête, Dicker nous engouffre dans des flash-back sans fins, surexplicatifs et verbeux, qui passent l'art de suggérer au bulldozer pour s'assurer que nous le suivons dans le fumeux de son récit. Récit qui se clôturera par ailleurs sur une fin au mauvais goût de facilité, précipitée, qui laissera derrière bien des questions et un affreux sentiment d'inachevé. Avec cette frustrante sensation côté lecteur de ne pas avoir eu les clefs pour enquêter et se faire son avis, puisque seules les révélations des ultimes chapitres permettront d'identifier le meurtrier, qui semble avoir été tiré au sort parmi les personnages qui n'avaient pas encore été incriminés. Tout l'ouvrage s'applique méticuleusement à vouloir retrouver les codes du whodunnit alors même qu'il tient le lecteur par le bout du nez en nous amenant où il veut.


Les personnages, qui avaient fait la force de son premier opus, n'évoluent plus et restent figés dans leur arc narratif quand ils ne sont pas tout bonnement abandonnés sur le bord du chemin du roman, condamnés à ne plus jamais réapparaître malgré la promesse d'individus hauts en couleur. C'est bien simple: le protagoniste finira le récit comme il l'a commencé et son mentor aura fait quelques laborieuses apparitions, histoire de dire qu'il existe toujours, sans jamais rien changer au cours de l'histoire. Les autres se contenteront des miettes, joueront leur partition du parfait coupable, du sergent bougon ou de la petite copine passagère. Car au fond le problème est peut-être là: quel était le besoin de faire une suite? A part nos deux personnages qui mènent l'enquête, qui auraient très bien pu faire leur apparition pour la première fois ici, tout est soit totalement nouveau ou bien tièdement réchauffé. D'autant que nous sommes priés d'avoir lu tous les romans de l'auteur pour espérer suivre l'action, créant un véritable Dickerverse ou chaque livre cite les autres au risque de ne plus s'adresser qu'aux initiés.


Le voilà finalement le vrai sujet du roman: L'Affaire Alaska Sanders nous dit quelque chose du rapport de Dicker à sa propre matière, à ses ouvrages et à son succès. A la fois dans l'autoréférence à ses romans et dans son protagoniste en miroir idéalisé de son auteur, Dicker se raconte et se cherche dans ses livres. Entre le Joël Dicker en Marcus Goldman enquêteur fantasmé et celui en star des librairies bien réel, le lecteur peut s'amuser à mener une autre enquête dans ce polar qui sent la gare: déceler entre les lignes ce que l'auteur veut nous dire de lui, comment il se voit, comment il se rêve. Traverser le Dickerverse, voilà probablement la seule réjouissance à la lecture de cette 'Affaire Alaska' dont notre engouement fond comme neige au soleil au fil de la lecture.


A qui recommander ce livre? A un ours mal léché, à un chef de gare, aux conducteurs de Ford Taurus

Si vous avez aimé, vous aimerez: Tout le reste du Dickerverse, le Minnesota (même si vous ne savez pas où c'est), les flashbacks dans les flashbacks

C3DLP
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le 23 mars 2024

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