Napoléon, c'est la Face de Dieu dans les ténèbres.
* Léon Bloy propose une vision mystique de la symphonie Napoléon : "Napoléon, c'est la Face de Dieu dans les ténèbres". Il se place au moyeu de la Roue cosmique pour évaluer l'âme de l'Empereur :
"Napoléon n'a eu en propre que son âme. C'est par elle qu'il gagna toutes ses batailles ; c'est par elle qu'il fut un meneur d'hommes inouï, un administrateur infini ; qu'il osa pétrir l'Europe dans des mains empruntées à Dieu et qu'il espéra ne jamais rendre. C'est par son âme enfin et son âme seule qu'il eut la gloire de se tromper comme aucun homme ne s'était trompé avant lui, et d'être abattu à la fin, n'étant que l'Annonciateur, non par l'hostilité furieuse de quelques rois humiliés, mais par la coalition de tous les siècles et par le jusant de la Révolution française qui se retirait de lui, l'ayant porté jusqu'aux cimes."
* Nous sommes au plus loin de la biographie habituelle ! Cette apologie mystique pour la fin des temps abomine les tièdes. Lecteurs, accrochez-vous ! On aime ou on déteste. Je me suis surpris à suivre les incantations de Bloy avec grand intérêt. Mais beaucoup décrocheront de ce texte dès les premières pages.
* Le style de Bloy atteint son apogée, passe de l'invective à la contemplation des siècles, trouve d'instinct la formule lapidaire, foudroyante comme une charge de cavalerie de Murat : "Il y a, çà et là, sur l'échiquier de l'Infaillible, les fauves redoutables dont il dispose : Davout, Augereau, Ney qui ne connaît ni fatigue ni peur ; Murat l'éventreur de bataillons, l'Achille de tous les combats ; le sublime Lannes, l'effrayant cuirassier Hautpoul, les généraux d'épopée Saint-Hilaire, Friant, Gudin, Morand, cinquante autres. Rapides et précis comme des anges de guerre, ils exécutent les derniers ordres de leur maître et le carnage commence."
* Bloy considère l'Histoire avec une hauteur souveraine, faisant fi du temps et de l'espace. Il juge en prophète, fouetté par l'Idée, dont le verbe est de foudre : "L'Histoire est comme un immense Texte liturgique où les iotas et les points valent autant que des versets ou des chapitres entiers, mais l'importance des uns et des autres est indéterminable et profondément cachée. Si donc je pense que Napoléon pourrait bien être un iota rutilant de gloire, je suis forcé de me dire, en même temps, que la bataille de Friedland par exemple, a bien pu être gagnée par une petite fille de trois ans ou un centenaire vagabond demandant à Dieu que sa Volonté fut accomplie sur la terre aussi bien qu'au ciel."
* L'Âme de Napoléon, hochet entre les mains du Destin, n'est qu'une mendiante, inconsciente, enchaînée à des songes vecteurs d'apocalypse. "N'ayant pas l'investiture d'un Patriarche ni d'un Prophète, il importait qu'il fut inconscient de sa Mission, autant qu'une tempête ou un tremblement de terre, au point de pouvoir être assimilé par ses ennemis à un Antéchrist ou à un démon. Il fallait surtout et avant tout que, par lui, fut consommée la Révolution française, l'irréparable ruine de l'Ancien monde. Evidemment Dieu n'en voulait plus de cet ancien monde. Il voulait des choses nouvelles et il fallait un Napoléon pour les instaurer. Exode qui coûta la vie à des millions d'hommes."
"Cela ne crève-t-il pas les yeux que l'Evénement fut entièrement et absolument surnaturel ? (...) J'ai connu, dans mon enfance, des vieux mutilés incapables de le distinguer du Fils de Dieu."