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Pour Jacques Demange, cela ne fait pas un pli : « Redford est celui qui a le mieux éprouvé les capacités et les limites de son pays. » L’auteur postule, exemples à l’appui, que le comédien a mieux que quiconque pris le pouls d’une Amérique changeante, complexe et sibylline.
Il y a Hollywood, la politique américaine et Robert Redford. Trois éléments appelés, selon Jacques Demange, à se réinjecter sans cesse l’un dans l’autre. Le dessein de l’auteur est d’en offrir une démonstration probante et il y parvient avec un certain succès. L’Amérique de Robert Redford opère par analogies : Redford, icône du cinéma hollywoodien et créateur du Sundance Festival, s’est toujours mis au diapason des États-Unis. « Maverick » dans les années 1960, rebelle dans les années 1970, héros dans les années 1980, le comédien a tour à tour incarné une Amérique fière, en doute, paranoïaque, en conflit intérieur, puis reconquérante et oublieuse de son passé.
L’exemple le plus frappant est peut-être le rôle de Robert Redford dans Les Hommes du président, le thriller d’Alan J. Pakula sorti en 1976. L’Amérique vient alors de découvrir avec stupeur, grâce aux enquêtes des journalistes Bob Woodward et Carl Bernstein, l’implication du président Nixon dans le scandale du Watergate. Les bureaux du parti démocrate sont cambriolés en 1972 et l’affaire prend une tournure politique sulfureuse lorsque des révélations du Washington Post mettent l’accent sur une vaste entreprise d’espionnage opérée depuis la Maison-Blanche. Robert Redford incarne à l’écran Bob Woodward. Basé sur des faits réels, directement tiré du travail des deux journalistes (dont Redford avait tôt acquis les droits), Les Hommes du président se révèle un ambassadeur idoine des années 1970. Le comédien blond est jeté dans la pénombre, écrasé par le décor, écartelé entre le doute et l’obstination. Il n’est glorieux que par défiance. Jacques Demange vante à juste titre la « qualité réflexive » d’un plan : l’avant de l’image est occupé par un poste de télévision diffusant les nouvelles de la réélection de Richard Nixon, tandis qu’à l’arrière-plan apparaît Woodward en train de travailler sur un article. Le symbole ne souffre aucune ambiguïté : la vie politique suit son chemin, mais un contre-pouvoir œuvrant dans l’ombre est prêt à débusquer ses failles et en affecter la marche.
Cet exemple est bien entendu emblématique des liens étroits existant entre Robert Redford et l’histoire de son pays. Jacques Demange en relève les occurrences tout au long de son essai. Ainsi, le Redford de Jeremiah Johnson n’aspire-t-il pas à renouer avec la nature et à réhabiliter les Indiens en pleine période de troubles politiques ? La sueur qui perle sur le front du héros dans Gatsby le Magnifique n’est-elle pas le signe d’une tension intérieure et d’une Amérique moins à son aise qu’il n’y paraît ? A contrario, Le Meilleur n’annonce-t-il pas le retour d’une nation qui, malgré les obstacles, croit à nouveau en ses forces sous Ronald Reagan ? Votez McKay, première coproduction de Wildwood Enterprises, la société de production de Robert Redford, permet au comédien une « distanciation critique » avec la politique et une interrogation du « cirque médiatique », tout en renvoyant en filigrane à sa propre ascension hollywoodienne. Le reste est à l’avenant, minutieusement répertorié et analysé.
Le propos de l’auteur se pare d’une dimension supplémentaire, puisqu’il associe les liens entre Redford et son pays à l’évolution d’une industrie cinématographique très muable : la fin des monopoles d’exploitation, l’avènement de la télévision, le Nouvel Hollywood ou les fusions capitalistiques impliquant les majors constituent tous, tour à tour, une toile de fond avec laquelle le réalisateur de L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux et la politique américaine entrent en interaction.
Sur Le Mag du Ciné
Créée
le 15 avr. 2020
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