Thèse de littérature et d'histoire qui consiste à tracer un continuum entre l'amour courtois chanté par les troubadours à partir du midi de la France au XIIIème siècle et le catharisme qui transperça la France depuis la Germanie pour s'établir et prospérer dans le midi occitan, du Languedoc à la province de Toulouse.
Le combat du double millénaire oppose deux visions de l'amour : la première est l'agapê gréco-chrétienne : un amour constant, inconditionnel et bienveillant. Un amour d'élection, à l'image de celui du Dieu chrétien pour tous les hommes. A l'autre bout du ring se tient la passion, issue des gnoses pré-christiques - notamment aryennes - venues d'Iran : sentiment égoïste, la passion est ambiguë quant-à son objet car celui-ci lui sert à la fois de stimulus et est en même temps le plus grand obstacle à l'accomplissement de la passion qui ne trouve sa plénitude que dans la quête inassouvie de son objet.
L'oeuvre médiévale où transparaît le plus clairement et avec éclat l'amour-passion est le Tristan et Iseult. En effet, les amants oscillent entre quête effrénée de la fusion amoureuse, puis ennui de vivre ensemble pour être ensuite séparés par le roi Marc et recommencer cette quête qui leur est délicieuse. Le roman est clair, c'est la mort qui attend les amants soumis au régime de la passion.
Si la mort est l'horizon de toute personne qui s'adonne à l'amour-passion, on comprend d'un coup mieux la résistance des théologiens chrétiens à toute forme d'hérésie dualiste dont le catharisme a été la manifestation au XIIIème siècle : ces sectes qui tirent leurs origines de l'Iran pré-chrétien (contemporaines au judaïsme primitif) professent l'atteinte de l'illumination par la "passion" de la perfection : là où l'orthodoxie chrétienne met en avant un chemin de sanctification qui commence dès cette terre. Dès lors, les Pères de l'Eglise ont justement identifié dans cette famille d'hérésie un chemin de mort, opposé aux enseignements du Christ.
C'est d'ailleurs la progression inouïe du catharisme dans tous les milieux du Midi médiéval qui a poussé la religion catholique à fonder l'institution du mariage telle que nous la connaissons aujourd'hui, destinée à consacrer l'agapê comme base solide de la relation homme/femme et résister contre cette formidable résurgence de l'amour-passion (l'Eros) qu'a été cette hérésie.
Fort de cette analyse, Denis de Rougement constate avec perplexité que les contemporains que nous sommes, dans leur grande folie, veulent renverser l'institution et fonder le mariage qui est précisément l'institution de l'agapê, sur l'Eros ! Nous voulons vivre l'amour qui dure toute la vie en choisissant comme critère d'union l'amour qui consume et mène droit à la mort, comme nous l'ont enseigné les anciens. Dès lors, Rougemont pose la question : quel avenir en occident pour l'amour ? Les Cathares, avec 8 siècles de retard, ont-ils définitivement gagné ?
PS : C'est non sans ironie que l'auteur dénote, parallèlement au triomphe de la conception qu'il associe aux cathares de l'amour, un vif regain d'intérêt pour cette civilisation présentée, notamment dans les revues d'histoire grand public, comme une injuste victime de l'obscurantisme papal.