Longtemps je n'ai pu entrer dans l'univers de Hafiz. Je lisais et relisais Rûmî, Khayyâm, je découvrais d'autres poètes persans comme Attâr, Saadi ou Firdousi. Rien, nada, aucun déclic en ouvrant un volume d'Hafiz... Mais pendant le confinement, après trois lectures de chaque ballade, j'ai trouvé le sésame d'une œuvre magnifique. Pourquoi ce poète m'avait-il résisté si longtemps ? Peut-être parce que je renonçais trop vite. Nous devons relire sans cesse, ruminer, s'imprégner de références implicites, les intérioriser pour déverrouiller enfin la Porte de la perception.
Hâfez de Chiraz (1325-1390) résume les thèmes favoris de sa poésie dans les vers suivants :
"Vin, amour et libertinage, Hâfez ne sont pas ton partage ;
Et pourtant, c'est ce que tu fais. Tant pis pour toi, c'est bien dommage !"
"Parlons de musique et de vin, et non pas des secrets du monde :
c'est l'énigme du Temps-Destin qu'aucun sage ne résoudra."
"Je m'enivre. Ne blâmez point celui dont la page est noircie :
Comment savoir ce que la plume du Destin peut avoir écrit ?"
"Le dévot boit l'eau de l'Éden, Hâfez le vin. Auquel des deux
Le Créateur, en fin de compte, donnera-t-il la préférence ?"
Hâfez serait-il un ivrogne ? Je suis désolé de vous décevoir, mais pas réellement. Ou alors c'est un ivrogne d'une catégorie bien particulière !
"Tu peux faire ce que tu veux - mais il ne faut nuire à personne.
Telle est notre divine Loi : pour tout le reste, Dieu pardonne."
"Demande-nous d'obéir comme un insensé :
pour notre maître, la sagesse est un péché."
"Hâfez, cherche ailleurs si tu veux l'immortelle source de vie :
Elle sourd au seuil poussiéreux de la retraite des derviches."
"Fais un pas vers l'étape de l'Amour. Crois-moi,
tu auras grand profit à scruter l'invisible.
Toi qui es prisonnier dans le monde sensible,
comment peux-tu savoir où se trouve la Voix ?"
Et un dernier verre pour la route sinueuse et chaloupée de l'existence :
"Celui-là ne mourra jamais dont le cœur ne vit que d'amour."