Voilà une expérience de lecture bien singulière. Un livre encensé par ses lecteurs et souvent qualifié par ceux-là de chef-d'oeuvre. Ce que je leur concède volontiers... et qui chez moi a suscité une réaction assez étrange.
Pour vous dire rapidement ce qu'il s'est passé il est nécessaire, au préalable, d'en brosser vite fait l'histoire.
Au début du XVIème siècle, un jeune vagabond se fait engager comme mousse sur un voilier en direction des Indes (l'Amérique du Sud). A leur arrivée, lors d'une visite de reconnaissance, les membres de l'équipage sont soudainement assassinés par les membres d'une tribu vivant au bord du fleuve. Seul le mousse est épargné. Il vivra avec eux une dizaine d'années avant d'être rendu à la liberté. Périodiquement cette tribue accompli un rite extrêmement mystérieux et violent.
L'histoire est racontée par le mousse soixante ans plus tard.
Ce livre est un pur enchantement. Outre l'histoire qui m'a happé dès les premières pages j'ai éprouvé un véritable choc stylistique qui m'a amené à le lire à voix haute sur 120 pages afin de ressentir le plaisir physique des mots et la poésie de la structure du texte. Souvent ce texte me résista et il fallu défricher les phrases dont les mots s'imbriquaient en cascades de relatives. Plusieurs fois j'en ai souligné des passages entiers, notamment ceux consacrés à la description de la forêt tropicale sous la voûte céleste.
Le problème a surgi lorsque le narrateur a entamé une réflexion philosophique autour du mystère relatif au rituel annuel de cette tribu et de la raison de sa soudaine délivrance. Là, le charme s'est rompu. Le texte est devenu glose. Le lyrisme s'est évanoui. Et alors qu'il ne me restait plus qu'une trentaine de pages à lire j'ai pris la décision d'interrompre définitivement ma lecture pour en garder la poésie intacte. Je n'ai pas voulu savoir. J'ai préféré garder le secret et la magie.