L'Anomalie par reisarb4

Je me remet doucement à lire, et, cherchant un livre contemporain, sachant que le dernier livre contemporain que j'ai lu était un roman jeunesse, je me retrouve très désorienté.. Je me dis donc que le prix Goncourt, bien que critiquable, ne peut pas être un indicateur totalement défectueux, et que même si je rate le Voyage au bout de la nuit de 2020 (le livre de Céline n'avait pas reçu le Goncourt, mais est resté bien plus célèbre que le Goncourt de cette année) les risques de tomber sur une bouse restaient très faible. Bref, j'en suis arrivé à découvrir Le Tellier (cette lecture s'inscrit pour moi dans une découverte totale de la littérature contemporaine), et je ne peux que dire que je ne suis pas déçu.

Le lecteur, en ouvrant le livre, est comme happé par l'histoire, ou plutôt les histoires de ces 11 personnes, emmenées tour à tour par le FBI, la CIA ou le MI6, sans que l'on sache pourquoi, si ce n'est que toutes ont pour point commun d'avoir pris un avion Paris - New York en mars 2021.

L'auteur parle lui-même de page-turner, et assume l'objectif de garder le lecteur en permanence suspendu aux lèvres - ou à la plume ? - du narrateur. Mais si cela est brillamment réussi malgré quelques éléments plutôt dommages - dont il sera question plus tard dans cette critique -, le plus intéressant reste de constater comment est utilisé ce temps d'attention que prend ce livre au lecteur. Il ne s'agit pas de bête divertissement, et il ne s'agit pas simplement de faire oublier ses problèmes de tous les jours au lecteur. La volonté est ici clairement de faire réfléchir sur un certain nombre d'éléments.
On retrouve des réflexions littéraires, notamment avec le personnage de Victor Miesel, un écrivain ayant connu un fort succès après avoir écrit son livre L'anomalie, mais aussi avec tous les autres personnages, car l'auteur multiplie les procédés et explore un grand nombre de genres et de registres. On trouve ainsi plusieurs histoires d'amour différentes, un personnage apportant une dimension policière, plusieurs drame familiaux, et d'autres histoires mélangeant et jouant aussi sur les genres.
Le Tellier invite aussi son lecteur à des réflexions plus métaphysiques, sur la réalité de notre monde, sur la nature de l'amour, ainsi que la rencontre des personnages avec eux-mêmes. L'anomalie foisonne de pistes de réflexions, de thèses métaphysiques et philosophiques, toutes plus passionnantes les unes que les autres. Il y a une scène magnifique, à la fois tragique et porteuse d'espoir, où un homme se retrouve à s'observer lui-même, 4 mois plus tôt, avant que son couple ne s'effondre. Il me semble avoir lu quelque part sur senscritique une phrase décrivant cette scène plus ou moins comme une expérience de pensée fascinante, et terrifiante. Il se trouve que je suis plutôt d'accord avec cette phrase.

Cependant, certains éléments viennent perturber ce très bon livre, éléments qui ont pu me surprendre, voire me déplaire.

Tout d'abord, l'omniprésence des Etats-Unis dans ce livre est gênante. Les américains sont partout, dans nos films, nos séries, les sites internet que nous consultons, on ne trouve qu'eux. Ils sont même dans la littérature, et Le Tellier ne l'ignore pas puisqu'il fait même parler Victor Miesel de ces bouquins médiocre et abrutissants américains écrits pour des jeunes (peut-être pas en ces termes là, mais l'idée reste plus ou moins la même). Pourtant, même dans la littérature française, on se retrouve débordés par les références aux organisations américaines, par des personnages américains, par le droit américain. Même certains personnages, non-américains, se font appeler par des noms à consonnance américaine. Je n'ai rien contre la culture américaine en elle-même, cependant il est dommage qu'elle se retrouve aussi abondante, jusque dans la littérature française. Pourquoi ne pas nous faire découvrir un autre pays, une culture moins connue ? Pourquoi être sans arrêt obligé de replacer tout, toujours, aux Etats-Unis ? Surtout que Le Tellier critique tout de même la culture américaine, du show business, de la religion, et se moque même de Donald Trump.
De plus, il faut bien se l'avouer et voir les choses en face, le nombre de personnage reste assez problématique. Cela empêche certains développements, et donne une impression d'usine, dans laquelle les personnages défileraient sur un tapis roulant. Ou un distributeur de bagages d'un aéroport, avec des personnages à la place des bagages, que l'on voit passer, s'éloigner, et revenir quelques minutes plus tard, si l'on veut rester dans une comparaison en rapport avec ce vol Paris - New York qui est la clé de l'intrigue du livre.

Je tiens, enfin, à souligner l'humour dont ne manque pas l'auteur, et qui reste très agréable, sans jamais gêner l'histoire.