Le cycle de l’Assassin Royal de Robin Hobb est un bijou de fantasy, composé de 13 tomes, immersif, prenant, et dont on ne se sort pas indemnes.

Je dis « bijou » parce que pour moi, il correspond au travail méticuleux et acharné de forge de travail, issu d’un matériel solide, et flexible, l’univers que l’auteur a pu créer, où chaque chose est pesée, balancée, étudiée, dans le but d’être crédible, non pas « par rapport à notre monde » mais, dans le contexte historique et géographique de l’univers imaginé.

Il n’est pas question ici de capes, d’épées, et de pouvoirs magiques utilisés dans une grande quête personnelle et bien manichéenne, il n’est pas plus question de lutter contre un ennemi maléfique qui séjourne dans un pays maudit et ressuscite, non. Il est question d’une histoire générale, liée à une histoire personnelle, celle du narrateur, Fitz Loinvoyant, bâtard de la famille royale.

L’écriture est féminine, au sens où tout semble joli et harmonieux, alors qu’on sait parfaitement qu’on nage dans un nid de vipère, où le moindre faux pas sera létal. Certains diront que l’univers médiéval-fantasy est classique, et que les pouvoirs développés ne sont pas révolutionnaires à proprement parler. Je ne peux pas concevoir cela, personnellement, pas quand je vois la manière dont tout est exploité, pas quand on a parfaitement conscience, en tant que lecteurs, de tout ce qu’impliquent les pouvoirs en question. J’y reviendrai.

J’ai aimé que les chapitres soient composés en deux temps, la première part en italique, représente un travail que le narrateur rédige, et qui se veut, donc, une histoire des Six Duchés. La seconde, plus longue, correspond au vécu du narrateur, depuis ses premiers souvenirs.
Bien sûr, pour porter ce genre de récit, il faut que le Fitz soit un personnage clé, seulement, si l’auteur lui accorde effectivement une série de pouvoirs rares, on sent que c’est davantage pour approcher une vue plus approfondie de l’univers et de ses secrets que pour en faire un personnage hyper puissant, à qui il n’arrive rien.

C’est le second point positif, à mon sens : Fitz n’est PAS infaillible, il a une vision non-omnisciente de ce qui l’entoure, certaines choses lui restent profondément incompréhensibles et inexpliquées. Fitz n’est PAS un surhomme, il s’en prend plein la tronche à tous les niveaux possibles, et oui, c’est une grande force, pour un auteur de fantasy, d’oser abîmer ses personnages principaux. De plus, j’aime que l’auteur soit fidèle à la partialité de son point de vue, à l’importance énorme qu’il accorde à certaines choses (la vie quotidienne, les animaux, les personnes qui l’aiment ou le dérangent) par opposition à ce qui l’indiffère (sa formation dans l’Art de tuer, notamment, ou pour la musique, ou pour la mode, …)

Je ne suis pas d’accord avec ceux qui estiment que ce premier tome de l’Assassin est seulement une mise en scène du décor, l’installation du théâtre de l’intrigue. Les deux sont tellement profondément liés, je ne vois pas comment on peut dissocier la contextualisation du scénario à proprement parler, scénario qui débarque d’ailleurs à toutes allures, au contraire, dès que la transition de l’enfance de Fitz à « l’âge d’homme » s’est opérée. La seule chose que je peux en dire, c’est que personnellement, j’ai trouvé la mise en place et le scénario d’une parfaite et surprenante subtilité, avec une intrigue autonome aux autres tomes qui se déroule sans heurts, et qui tient en haleine.

La vie de Fitz, l’intrigue de la série de romans repose sur la vie de la Cour des Six Duchés, sa compréhension, et sa survie. La vie de bâtard royal dépend de son suzerain, des rapports qu’il entretient avec ceux-ci, avec sa capacité à se rendre, non seulement utile, mais indispensable pour sa lignée. Fitz n’a pourtant que peu de chose de l’intriguant, au fond, il n’en a que la formation. Il laisse tous les autres personnages prendre de l’ampleur à ses côtés.

Comment parler de l’Assassin Royal sans évoquer la palette de personnages secondaires ? Chacun à la cours existe, a des ambitions, des traits propres, dès qu’il est seulement nommé. Il y a ces rois, ces princes, le Fou, Burrich, le monde de la toute petite roture, et même les animaux présents dans le récit y occupent une place réelle, non pas celle de moyen de locomotion ou de faire-valoir.
En tant que lectrice, je me suis rendu compte de mon plaisir à les retrouver, à aimer chaque révélation ou petite découverte au sujet de chacun, que je les aime, ou que je les déteste, à rechercher les sens cachés, aussi.

Dernier point que je souhaite aborder, c’est donc la capacité de Robin Hobb à nous présenter des pouvoirs dont nous pourrions rêver, en tant que lecteur, et de présenter tous leurs contrepoids, toutes leurs failles « comme si de rien ». Et c’est principalement parce que Fitz les connait, mais ne les constate que bien plus tard, quand il les subit lui-même. J’aime l’aura qui entoure le Vif ou l’Art, toutes les superstitions qui y sont mêlés, et le double tranchant permanent de leur emploi. C’est, comme le roi, Subtil, comme Vérité, implacable, comme la Reine désire, étourdissant, et comme Burrich, objectivement terrible.

Voilà. En tant qu’œuvre littéraire, ce n’est sans doute pas le plus « beau » roman que vous lirez, mais en tant que roman de genre, j’estime qu’il est à classer parmi les meilleurs, en toute sincérité.
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le 21 avr. 2013

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