Comme fredonner une chanson d'Indochine.
"Il dessinait sans cesse des carrés, des cercles, des triangles; elle trouvait qu tout cela manquait un peu de coeur"
C'est encore un drôle d'ovni, ce "roman" d'Arthur Dreyfus, que j'ai aimé, indéniablement, mais sans doute pour des raisons qu'il réprouverait.
Il y a dans ce bouquin à peu près tout ce que je déteste dans la littérature contemporaine, énormément d'auto-complaisance, une présentation de la fiction, de l'autofiction, un soucis de verbaliser "le processus" de l'écriture, le rapport de l'auteur au monde/à l'écriture/ à lui/ à sa famille/ à n'importe quoi.
Jusque dans les détails les plus infimes, il y a ce que je déteste: on parle du milieu gay parisien, un protagoniste chante indochine, on cite des auteurs comme Montherlant, Michaux, l'auteur se demande s'il est nombriliste et le titre est mauvais, ne lui en déplaise.
Mais. Le texte est bon. Le texte est réellement bon. Pas particulièrement "libérateur", même s'il y a de ça. Pas authentique, pas spontané, mais. Morcelé, fragmentaire, il a quelque chose du plaisir coupable, de cohérent depuis le titre jusqu'au thème (d'ailleurs, ça se lit très bien en écoutant du Mylène Farmer), en passant par les citations empruntées (à des amis, des auteurs, et qu'importent s'ils sont réels).
Il y a une cohérence, un univers qui s'esquisse par les noms (Jean d'Oubli, Menteur, Jeune Homme, et le très fascinant Bord Cadre) froidement, tout à l'air un peu vieux, un peu apprêté, déjà digéré derrière la liste des défauts de l'auteur, froidement énuméré par un ami.
C'est un univers d'écrivain, des conversations littéraires, des images partout et l'enfance, comme une grande ombre pleine de saleté, de ce qu'on cache et qui nous définit, adulte.
Il y a de l'épaisseur, dans la mise en place des scènes, les dialogues qui suivent, et quelques très beaux éclats. Peut-être que c'est un possible transfert de sujets qui me touchent ou me parlent ou peut-être est-ce la forme qui fait que pour moi l'ensemble fonctionne, rend tout absolument tolérable, a fait que j'ai lu avidement, de part en part.
A lire en bon voyeur, plus pour le mécanisme humain que pour les détails croustillants, objectivement.