Il faut se trouver dans l'immensité sans fin d'un paysage sans limite pour se sentir tout petit, ramené à sa propre insignifiance et entamer ainsi une introspection sur le sens de sa vie, sur sa réalité, sur ses buts. Et quel paysage se prête plus volontiers à l'infini que l'infinie Sibérie dont la taïga merveilleuse et sauvage peut nourrir et dévorer l'homme tour à tour en l'espace de quelques battements de coeur ?
Gartsev fait partie de ces millions d'âmes russes qui ont été broyées par la machine soviétique et la "Grande Guerre Patriotique" - ainsi est encore appelée la Seconde guerre mondiale dans le pays rouge. Années 50, en pleine Guerre Froide, Gartsev - un soldat désabusé par la vie - est intégré dans un commando composé d'une poignée d'hommes ayant pour mission de pister et de poursuivre dans la taïga un prisonnier politique évadé. Mais la chasse à l'homme devient la propre fuite de ces hommes meurtris et rongés, qui par l'ambition et l'envie, qui par le rêve utopique d'une vie meilleure.
Une fuite qui pour Gartsev prend au fil des jours, des nuits et des feux de camp des allures de quête existentielle. Il passera par tous les stades, de la survie à l'exil, avant d'atteindre ce qui ressemble le plus à une "île déserte" personnelle, l'île d'une autre vie possible : "Pour vivre heureux, vivons cachés".
Ce roman d'Andreï Makine est beau même s'il est moins prenant que "Le testament français" car moins autobiographique. Puissant hymne à l'espoir, il témoigne une fois de plus de l'érudition de cet auteur franco-russe à la destinée sans pareille. Pour une lectrice passionnée par la Russie telle que moi, c'est un plaisir de tous les sens, c'est une terrifiante invitation au voyage dans le passé qui donne un goût amer au triste patrimoine de ce peuple pétri de souffrances et de luttes.